Angélique suivait avec les dames. Par bonheur Mme de Montespan était absente. La reine aussi. Mlle de La Vallière vint se placer près d'elle et lui dit son plaisir de la revoir. La pauvre fille redonnait sa confiance à l'heure où tout annonçait qu'elle n'était plus méritée. Nul n'avait pu se tromper sur le sourire et le regard que le roi avait dédiés à Mme du Plessis-Bellière. La Cour entière avait compris que la disgrâce d'hier s'effaçait devant le triomphe d'aujourd'hui...
Le bleu de la robe d'Angélique était semblable à celui du ciel, un peu verdelet comme on le voit au printemps, en Ile-de-France. Ses joues avaient l'éclat doré du renouveau. Femme touchée par l'amour du Soleil, choisie, distinguée par un dieu, femme environnée de haine, d'envie et de jalousie, elle avait paru à tous étrangement belle et presque intimidante. On hésitait à l'aborder.
Le roi descendit lentement l'escalier de marbre, précédant la foule des seigneurs et des dames.
Le château derrière eux dressait sa façade étincelante. À droite, en contrebas, sur le terre-plein de l'Orangerie on voyait frissonner des palmiers, dont les gerbes vertes exotiques alternaient avec les caissons d'argent des orangers, tous ces beaux arbustes disposés au soleil, près de bassins transparents, dans un enchantement d'oasis. Les pauvres scrofuleux étaient sur la gauche, près des grilles d'or. Le soleil ne pouvait pas réchauffer leur peau grise et sèche, et ne rendait que plus hideuses leurs plaies offertes et leurs casaques ternes. Quand le roi fut tout proche ils tombèrent à genoux, les yeux pleins de joie. Le roi ôta le gant de sa main droite et le tendit à son grand chambellan. Il s'approcha du premier malade, un jeune homme appuyé sur deux béquilles dont le médecin maintenait la tête. Il décrivit une croix sur le visage, allant du front au menton et d'une oreille à l'autre, et dit : – Le roi te touche, Dieu te guérit.
Il y avait un grand nombre de malades ce jour-là. Les courtisans tirèrent leur mouchoir de dentelles pour s'éventer et dissiper les miasmes et l'odeur putride. Ils prisaient fort peu cette cérémonie. Le roi, par contre, s'y adonnait avec soin et bienveillance. À ses côtés, son médecin, verbeux, l'entretenait des symptômes et des causes de la maladie, due, pensait-il, à l'air empuanti, aux aliments malsains et aussi à la pleine lune, les blessures qu'on se fait pendant cette période prenant un cours malin.
Le roi ne dédaignait pas de poser des questions, de s'informer des conditions de vie du patient et de son nom. À ceux qui venaient de loin il faisait remettre une petite somme par l'aumônier.
Angélique reconnut sa pauvresse tenant son enfant. Elle vit aussi Pain-Sec et quelques autres habitués de l'hôtel du Beautreillis. Elle leur sourit. Le prêtre qui les accompagnait ayant dit que c'étaient là des pauvres recommandés par Mme du Plessis-Bellière, le roi prescrivit aussitôt qu'on leur donnât le double de la somme habituelle et qu'on leur fît cadeau de vêtements neufs. Les protégés d'Angélique entonnèrent un concert de remerciements. La mère voulut baiser le bas de sa robe bleue.
– Voyez, notre dame, mon petit a déjà plus belle mine. Je suis sûre qu'il va guérir. Le roi l'a touché, mon petit. Le roi l'a touché...
Le vieux Pain-Sec, de ses yeux chassieux de coquillard qui avaient vu, au coin des églises et sur le bord des chemins, se nouer et se dénouer bien des destins, regardait la noble dame dans ses atours fabuleux, et du fond de son cerveau embrumé y superposait une autre image, un nom : « Marquise des Anges. »
C'était loin, ce temps où on l'appelait ainsi. Il confondait un peu, il ne se rappelait plus très bien. C'était une autre femme, sans doute. Elle avait les pieds nus et un couteau à sa ceinture. À sa ceinture maintenant elle portait des bijoux, une petite montre en or et des clefs de vermeil. Ainsi va la vie, où l'on marchera toujours béquillant et cherchant sa pitance, jusqu'au jour où le paradis s'ouvrira avec une clé de vermeil et où Dieu vous posera sur la tête une couronne de prince.
Au bout de plusieurs heures deux pages présentèrent une aiguière d'or ; le roi s'arrêta pour se laver les mains. La cérémonie était terminée. Elle avait duré tout le matin. Les pauvres s'en allèrent en clopinant qui vers son taudis des faubourgs, qui vers sa masure des champs, devisant des merveilles entrevues et ayant fait provision d'espoir. Le roi décida d'aller visiter ses jardins fruitiers. L'idée parut excellente. Les senteurs délicates des espaliers fleuris dissiperaient les pénibles relents de la triste humanité. Le roi discuta minutieusement de chaque bourgeon avec les maîtres jardiniers. M. Le Nôtre prenait part à la promenade. Angélique aimait ce grand artiste des jardins qui, comme ceux qui se courbent vers le sol, demeurait indifférent aux vanités. Elle entendit le roi, qui voulait l'anoblir, lui demander ce qu'il désirait comme armoiries et Le Nôtre répondre en riant :
– Il me suffira, Sire, de trois limaçons sommés d'un trognon de chou.
Mais, des hommes des champs, il avait aussi l'obstination enveloppante. Le potager et le verger ne dépendaient qu'indirectement de sa juridiction. Son domaine, c'était le parc. Il insista pour que le roi vînt donner son avis sur une allée où l'on avait planté quatre rangs de tilleuls et où il fallait disposer des thermes de marbre blanc. Ensuite toute la compagnie se retrouva sur les bords du Grand Canal. Le roi donna toute son attention à la ravissante flottille de plaisance où il voulait retrouver en miniature les plus curieux bateaux alors en usage. Des modèles provençaux et flamands voisinaient avec des chaloupes biscayennes. Un village pour les matelots et les charpentiers chargés de les remonter et de les conduire s'édifiait non loin de là.
Enfin le bruit circula que des rafraîchissements et une collation attendaient la Cour dans le bosquet du Marais. Chacun obliqua vers l'allée Royale. Angélique vit venir Mme de Montespan, sous un parasol de taffetas rose et bleu garni de dentelle d'or et d'argent, et que soutenait derrière elle son négrillon. Elle était fort souriante. Avec entrain elle convia tout le monde à la suivre. Le Bosquet du Marais était son préféré. C'était elle qui en avait inventé les détails et guidé l'architecte. Tous les petits chiens de la reine déboulaient l'escalier de Latone avec des jappements aigus. Derrière venaient les nains, tristes et laids. Puis la reine, triste et laide aussi. Elle était furieuse de n'avoir pas un parasol comme celui de Mme de Montespan, par ce soleil brûlant. Le bosquet du Marais, au creux des arbres printaniers, offrait une pénombre reposante. Au centre se dressait un arbre de bronze dont les feuilles de métal laissaient retomber une ample courbe de jets d'eau. Tout autour l'eau s'élançait de bouquets de roseaux d'argent, au milieu desquels reposaient quatre cygnes d'or.
Dans l'épaisseur des charmilles étaient disposées deux grandes tables rondes de marbre blanc, portant chacune en son centre une corbeille de bronze doré remplie de tulipes, d'œillets et de jasmin. Des buffets aux gradins de marbre rouge et blanc complétaient l'ensemble, garnis en ce moment de coupes, de verres et de hanaps contenant des sorbets, des fruits, des vins et des boissons glacées. On prit place autour des tables, et ceux qui souhaitaient plus de calme gagnèrent les banquettes de gazon dissimulées dans les frondaisons. Angélique s'y trouva assise avec Mlle de Brienne, qui l'assommait de son bavardage. De la place où elle se trouvait elle voyait, comme au spectacle, la Cour réunie dans le cirque de verdure. Ces bosquets, destinés aux plaisirs d'une société qui ne cessait de se donner en représentation à elle-même, savaient s'ordonner pour la mise en scène d'un ballet fabuleux et bien réglé. Des violons et des hautbois s'accordèrent dans les frondaisons et la musique doucement accompagna les libations et les rires. Le soleil filtrant à travers les branches posait des taches de lumière sur les toilettes luxueuses.
Elle chercha des yeux le roi. IL causait avec le marquis de La Vallière. C'était un de ses talents de savoir sourire, quand les circonstances l'imposaient, à ceux qu'il détestait le plus. Mlle de La Vallière n'était pas encore répudiée. Il ménageait le petit marquis, dont les voleries aux armées venaient de faire scandale.
– Où est Lauzun ? s'étonna Angélique. Je ne l'ai pas encore aperçu.
– Comment, vous ne savez pas ? Mais il est en prison. Il a dépassé les bornes avec le roi et Mme de Montespan. Je ne sais plus à quel propos de charge qu'on lui refusait et pour laquelle elle avait promis d'intercéder, il lui a dit de grosses injures, il lui a marché sur le pied, il est allé trouver le roi et il a brisé son épée en disant qu'il ne voulait plus le servir.
– Moralité : un nouveau séjour à la Bastille.
– Cette fois c'est plus grave. On murmure qu'il va être envoyé dans une forteresse du Piémont, à Pignerol. Il y sera en bonne compagnie. Avec ce fameux intendant, vous savez... comment s'appelait-il donc ?
– Fouquet, dit M. de Louvois qui mangeait une tartelette accoudé près d'elles. Oui... c'est bien vieux tout cela. On commence à l'oublier et cependant l'écureuil est toujours vivant dans sa cage.
Angélique éprouvait un malaise chaque fois que ce nom de Fouquet revenait à ses oreilles. Elle n'avait jamais vu cet homme, et pourtant il régnait comme un mauvais génie sur la catastrophe de sa vie. C'était loin, mais c'était ineffaçable. La vision grise du vieux Pain-Sec marmottant dans sa barbe en broussaille la hantait.
– Marquise des Anges.
Ainsi l'appelait-on à la tour de Nesle.
– Marquise des Anges ! ricanait Barcarole, le nain de la reine, en agitant ses grelots.
Il avait sauté sur une des tables de marbre et s'était mis à danser parmi les plats. Cela faisait rire la reine et ses dames.
"Angélique et le roi Part2" отзывы
Отзывы читателей о книге "Angélique et le roi Part2". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Angélique et le roi Part2" друзьям в соцсетях.