Néanmoins, pensant qu’un billet arriverait sans doute chez lui pour compléter les indications du rendez-vous, il sortit de l’eau, se sécha, s’habilla et s’en alla à la recherche de sa voiture…
Il rentra donc à l’hôtel de Châteauneuf pour y dormir dans l’attente de la prochaine nuit mais, vers cinq heures, son valet l’éveilla en lui apportant un billet : il fallait ajourner. Le mari qui devait s’absenter demeurant à Paris pour une grave raison. Le petit roi était très mal…
Plus qu’inquiet parce qu’il savait ce que signifierait la mort du jeune Louis XV - l’écroulement de la Régence et un hallali féroce de ses innombrables ennemis sur le duc d’Orléans… et ses proches -, Maurice se précipita au Palais-Royal. L’imminence de la catastrophe y était peinte sur tous les visages et il n’eut aucune peine à apprendre ce qui s’était passé. Le matin même, tandis qu’il assistait à la messe à Saint-Germain-l’Auxerrois comme d’habitude, l’enfant s'était évanoui. La chaleur sans doute mais, ramené aux Tuileries, ses médecins constatèrent qu'il avait une forte fièvre laissant tout à craindre, même le pire.
- Allez faire un tour aux Tuileries ! lui conseilla son ami Canillac, le capitaine des mousquetaires. Vous en entendrez de belles !
- Quoi par exemple ?
- Mais… que Monseigneur Philippe a empoisonné le roi, tout simplement ! Cette folle de duchesse de La Ferté le clame à tous les échos sans rencontrer le moindre contradicteur. Quant au vieux Villeroy, non seulement il opine mais il laisse entendre que, sans ses soins, le drame se serait produit beaucoup plus tôt !
- C’est insensé !
- Sans doute, mais si vraiment nous perdons le roi, notre ami n’aura pas trop de nous tous, qui lui sommes fidèles, pour empêcher qu’on le massacre. Quitte à faire pendre ou rouer quelques clampins qui ne seront pour rien dans ce meurtre.
Pendant deux jours Paris retint son souffle. Aucun mieux ne se manifestait. On avait commencé, dans les églises, les prières de quarante heures et le cardinal de Noailles faisait exposer la châsse de sainte Geneviève protectrice de Paris afin de condenser sur elle la ferveur d’un peuple désorienté qui n’était pas loin de perdre la tête. Le duc de Richelieu, Canillac, Saxe, Charolais et quelques intimes campaient au Palais-Royal, prêts à faire de leurs corps un ultime rempart au Régent.
Et puis, un beau matin, tandis qu’un bienfaisant orage abattait la canicule et transformait la ville en bourbier, tout s’arrangea. Alors que la Faculté errait toujours lamentablement, un jeune médecin suisse nommé Helvétius1 prit sur lui d'administrer au petit malade une forte dose d’émétique, déchaînant une « évacuation charmante » qui le ressuscita comme par magie. Le lendemain, Louis pouvait, depuis son balcon, saluer une foule en délire qui se livra par la suite à toutes les manifestations d’une joie folle. Seul le pauvre Philippe d’Orléans resta en dehors de ces festivités. Dans l’opinion commune, l’accusation d’empoisonnement - qui avait déjà fait surface au moment de la double mort du duc et de la duchesse de Bourgogne, parents de l’enfant roi - ne perdit pas une voix.
Pendant ce temps, dédaignant les nombreuses manifestations de la liesse populaire ainsi que le Te Deum à Notre-Dame, Maurice et Louise-Elisabeth se laissèrent emporter durant deux jours entiers par leur passion mutuelle, bien cachés dans une dépendance du château de Choisy qui avait appartenu à la défunte princesse de Conti. Mais la bienheureuse période de quasi-folie générale ne dura pas longtemps. Le mari, qui s’était rendu en Angleterre pour se hâter de mettre à l’abri les millions qui, joints à ceux de son beau-père le duc de Bourbon, avaient déstabilisé le système de Law, rentrait et sa jalousie allait obliger les amants à plus de prudence. Choisy les vit moins, ce qui donnait un prix infini à leurs étreintes secrètes.
Le comte de Saxe devait d’ailleurs s’occuper d’acheter un régiment, complément obligatoire du grade de maréchal de camp, un général sans soldats n’étant pas d’une grande utilité. Justement il y en avait un dont le propriétaire souhaitait se démettre : Sparre-Infanterie, régiment étranger - germano-suédois ! - comme il en existait plusieurs en France. Celui-là avait combattu avec honneur à Malplaquet et à Denain. C’était une magnifique unité, seulement elle coûtait cher, et son prétendant dut retourner brièvement à Dresde afin de convaincre son père de lui donner un coup d’épaule. Mais, fidèle à son vieux principe d’économie dès qu’il s’agissait des autres, fût-ce de son fils préféré, Auguste II se fit tirer l’oreille jusqu’à ce que lui vienne l’idée de vendre la terre de Skoelden qui était de l’apanage de Maurice. On est royal ou on ne l’est pas !
Un peu déçu tout de même mais talonné par la hâte de prendre possession de son beau régiment, de se mettre au travail pour en faire l’unité d’élite… et aussi de revoir sa princesse, Maurice, après un bref arrêt chez sa mère, dévora la route et entra dans Paris le 27 novembre. Pour s’apercevoir que la moitié de la ville était autant dire vide, l’autre moitié s’entassant sur la place de Grève afin d’assister à l’exécution de Cartouche, le célèbre bandit. Une exécution qui allait se prolonger pendant presque toute la nuit : en arrivant sur l'échafaud, le condamné qui espérait être enlevé au bourreau par ceux de sa bande put constater avec fureur que personne ne levait le petit doigt pour lui éviter d’être rompu vif. Il s'était alors fait ramener à l’Hôtel de Ville pour dénoncer ses acolytes. Et ils étaient nombreux.
Trouvant sa maison vidée par ce spectacle de choix, Saxe décida de se rendre à l’hôtel de Conti voisin dans l’espoir que même si le vilain mari y était, il aurait, à défaut de souper, au moins la joie de baiser une jolie main. Mais il ne trouva qu’un portier mélancolique : il était autant dire seul au logis, tout le monde étant au lieu du supplice, y compris Mme la princesse entraînée par des amis…
Dépité, Maurice tourna le dos à cet homme qui attendait peut-être un commentaire et préféra rentrer chez lui où, en compensation, il aurait le plaisir de se défouler en rossant ses valets dès leur retour. Il ne comprenait pas quel plaisir une jeune femme belle et raffinée pouvait trouver à un spectacle aussi grossier. Lui-même n’était pas un tendre mais il n’était pas cruel, n’ayant jamais pu vraiment s’habituer aux horreurs de la guerre. Quant à Cartouche, il aurait plutôt eu tendance à le plaindre. Tant d’histoires couraient sur son compte qu’une espèce de légende s’était tissée autour de lui. C’était sans doute un bandit mais il était brave !
Comme il faisait froid, il enroula son ample manteau autour de lui, enfonça son tricorne sur sa tête, sortit de l’hôtel en courant, reçut un choc et se retrouva dans la boue tandis qu’éclataient le hennissement affolé d’un cheval, le juron d’un cocher et le cri d’une femme : il avait failli être écrasé par une voiture roulant le long du quai à vive allure…
Un peu étourdi, il cherchait à rassembler ses esprits quand il entendit :
- Mon Dieu, Monsieur, que d’excuses ! Etes-vous blessé ?… Allons, Martin, venez à son secours !
Il crut entendre chanter les anges tant cette voix, douce et chaude à la fois, avait d’exquises inflexions… Sans prêter attention au domestique - qui grognait en vouant à tous les diables les bourgeois qui ne savaient pas regarder où ils mettaient les pieds ! - il sourit au charmant visage qui venait de lui apparaître, encadré d’un large capuchon ourlé d’hermine. Il retint surtout des yeux magnifiques, pleins d’inquiétude, et une bouche ravissante :
- Je pourrais dire plus de peur que de mal, Madame, si j’ai eu la moindre crainte, fit-il en riant.
- Oh ! Vous êtes étranger ?
- Mon accent le révèle !… Mais par grâce veuillez vous écarter : je crains de vous couvrir de boue en me relevant. J’en ai jusqu’aux yeux. Allons, l’ami, un coup de main ! C’est diantrement glissant ici !
Le cocher était solide mais l’accidenté était lourd et l’homme eût peut-être lâché prise si l’inconnue n’avait apporté son aide.
- Dieu, que vous êtes grand ! apprécia-t-elle quand il fut debout. Prenez à présent la peine de monter dans ma voiture : je vais vous ramener chez vous !
- Je vous baise les mains, Madame, mais c’est bien inutile ! J’habite à deux pas ! Comte Maurice de Saxe, pour vous servir !
- Ah, c'est vous ?
- Mon Dieu oui. Aurais-je le bonheur d’être connu de vous ?
- Comme de tout ce qui compte à Paris ! Surtout les entours de Monseigneur le Régent !
- Ah !… Ce qui veut dire que ma réputation n'est pas des meilleures ?
Elle se mit à rire cependant que ses yeux brillaient davantage encore :
- Ce n’est pas à moi d’en juger… Eh bien, je vous souhaite le bonsoir !
Elle remontait déjà dans sa voiture. Il voulut la retenir mais sans oser la toucher, à cause de ses vêtements maculés :
- Me direz-vous au moins à qui je dois…
- Un bain de boue et quelques contusions ?… Cela ne me paraît pas important !
La portière claqua, le cabriolet reprit son chemin et disparut au coin du Collège des Quatre Nations… Boueux, trempé mais rêveur, Maurice rentra chez lui où ses gens rentraient l’un après l’autre pour constater avec horreur que le maître était revenu pendant leur absence alors qu’on l’avait un peu oublié. Or, à leur vif étonnement, non seulement il ne les abreuva pas d’injures mais il calma son secrétaire :
- On verra demain ! Pour l’instant j’ai besoin d’un bain et d’un souper que nous partagerons…
La nuit durant il fut occupé de l’inconnue, de son visage si doux, de ses yeux pleins d’étoiles, de son charmant sourire et surtout de cette voix, à aucune autre comparable. En y pensant des frissons couraient le long de son dos mais, le lendemain, un court billet de Louise-Elisabeth l’appelait auprès d'elle. Conti était allé à son château de L’Isle-Adam d’où il ne rentrerait que dans deux jours : elle l'attendrait pour un souper en tête à tête. Repris par l’éblouissement de leur passion commune, il oublia l’inconnue…
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