- Miséricorde ! Il était là ? Mais où allait-il donc ?
- Je l'ignore. Nous avons échangé quelques mots puis Son Éminence est rentrée au palais avec son compagnon. Vous qui savez tout, me direz-vous ce que fait ici le Lieutenant civil de Paris ?
- Si vous vous imaginez qu'il passe son temps au Châtelet, vous vous trompez. Dites-vous bien qu'il est d'abord au service de la Robe rouge pour toutes sortes de vilaines besognes extérieures à Paris. Finalement, jeune bécasse, vous n'avez pas eu si mauvaise idée en allant vous promener dans ce coin. Le bruit de votre conversation a dû être entendu, ce qui a permis aux tourtereaux de s'enfuir.
- De qui parlez-vous donc ?
- Mais du Roi que des dizaines d'yeux ont vu entraîner Mlle de La Fayette tout juste là où vous étiez. Le Cardinal ne dédaigne pas, de temps en temps, de faire lui-même la besogne de ses espions. Grâce à vous, il n'aura rien entendu d'une conversation qui devait cependant l'intéresser fort...
Cette fois, Sylvie se mit à rire :
- Les tourtereaux comme vous dites n'étaient pas bien loin, je vous l'assure . tout juste dans le grand buisson de houx...
- Vous les avez vus ?
- Non, mais j'ai entendu des voix, je les ai reconnues. Je ne voulais pas être indiscrète... Eh bien, qu'ai-je dit de si étrange ? demanda-t-elle en voyant la mine accablée de sa compagne.
- Faut-il que vous soyez jeune... ou bécasse comme je le disais tout à l'heure ! Vous aviez l'occasion d'entendre des choses qui, en dépit de ses nombreux maux, ont fait galoper Richelieu jusqu'au fond du parc, et vous avez fermé vertueusement vos oreilles ? Ma chère, apprenez qu'à la Cour les gens ne cessent de s'épier mutuellement et donneraient dix ans d'existence pour surprendre le quart de la moitié d'un tout petit secret.
- Ce n'est pas mon cas, affirma Sylvie en rougissant d'un aussi gros mensonge mais, si sympathique que lui fût Marie de Hautefort, elle ne voulait pas lui livrer les quelques phrases d'amour désespéré qu'elle avait surprises. Louise de La Fayette lui plaisait. Si douce, si mélancolique, si écartelée entre son devoir, sa conscience et son amour au milieu du bataillon moqueur et souvent malveillant des filles d'honneur, avec les regards de la Cour fixés sur elle ! Quant au Roi, lui aussi lui inspirait de la pitié parce que tous semblaient lui refuser le droit à l'amour. Pour le bien de l'État, il acceptait la férule d'un homme terrible dont le génie - il arrivait que l'on emploie ce mot à son sujet - s'exprimait le plus souvent par un autoritarisme impitoyable.
Elle allait en avoir une preuve supplémentaire. Comme elles suivaient la terrasse dominant le parterre, elles virent sortir de la porte Dorée deux jeunes gens dont l'un portait les insignes de capitaine d'une compagnie des gardes-françaises. Tous deux parlaient avec animation, l'un cherchant visiblement à calmer l'autre. Le jeune capitaine, beau comme un dieu grec, devait avoir seize ou dix-sept ans et semblait fort en colère. L'écho de ses dernières paroles parvint aux deux jeunes filles.
- ... et j'ai refusé. Avec autant de calme et de respect que j'en pouvais donner, mais j'ai dit non.
- Vous avez osé ?
- Oui, parce que ma liberté m'est chère. Elle est trop neuve pour l'enterrer déjà et...
Il s'interrompit à la vue des promeneuses, ôta son feutre et salua avec une grâce de danseur. Son compagnon en fit autant. On leur rendit salut pour salut.
- Eh bien, monsieur de Cinq-Mars, fit Hautefort moqueuse, vous voilà tout ébouriffé ! Quelqu'un vous aurait-il déplu ou, pis encore, auriez-vous déplu ?... Votre servante, monsieur d'Autancourt !
- Ni l'un ni l'autre. Si l'un de ces deux cas se présentait, je ne serais pas ici mais sur le pré, l'épée à la main !
- Un duel, vous ? Alors que le Cardinal vous montre tant de bienveillance ?
Le ravissant capitaine - avec son fin visage au regard intense, à la bouche sensuelle - était trop novice pour se défier des questions d'une jolie femme.
- Il vient d'en faire encore étalage. Savez-vous ce qu'il veut faire de moi ? Le Grand Maître de la garde-robe du Roi !
- Peste, s'extasia la jeune fille. Que voilà un bel avancement !
- Ah ! vous trouvez ? Eh bien, ce n'est pas mon avis ! Ce poste oblige à rester continuellement auprès du Roi qui est bien l'homme le plus triste que je connaisse. Je suis trop jeune pour aliéner ainsi ma liberté. J'ai des amis avec qui je m'amuse, mademoiselle, des...
- Des maîtresses qui vous amusent...
- En effet. Aussi ai-je refusé tout net.
- Tout net ? Au Cardinal ? Et vous n'êtes pas en route pour la Bastille ?
- Vous voyez bien que non. Le Cardinal s'est contenté de sourire sans rien dire. C'est un assez bon homme, vous savez, quand on sait le prendre.
- À Dieu ne plaise ! Je vous le laisse ! Nous sommes vos servantes, monsieur le Grand Maître !
Elle esquissait une révérence, mais le compagnon de Cinq-Mars lui demanda en rougissant :
- Ne me ferez-vous pas la grâce, mademoiselle, de me présenter à votre amie ?
Cette fois, le sourire de la belle fut franc et sincère :
- Avec joie ! Sylvie, je vous présente le marquis d'Autancourt, fils du maréchal-duc de Font-somme. Mlle de L'Isle est fille d'honneur de la Reine.
Depuis le début de la rencontre, le jeune marquis n'avait cessé de regarder Sylvie avec un air de douceur disant assez qu'elle lui plaisait. Lui-même n'était pas sans charme : blond, mince, très jeune, avec une silhouette élégante et souple annonçant l'homme rompu aux exercices du corps, il était moins beau que son camarade mais Sylvie le décréta tout de suite beaucoup plus sympathique et lui sourit. Il y avait dans M. de Cinq-Mars quelque chose d'avide, de violent et d'un peu trouble, une grâce languide qui lui déplaisait.
On échangea quelques paroles de courtoisie puis l'on se sépara, les jeunes filles se hâtant de regagner l'appartement de la Reine. Tout en marchant, Sylvie se renseigna :
- Qui est ce M. de Cinq-Mars ?
- Le petit protégé de Richelieu qui le connaît depuis l'enfance. Il est le fils de feu le maréchal d'Effiat, un grand soldat qui possédait des terres en Amérique et en Touraine, sans compter le magnifique château de Chilly où le Cardinal se rend fréquemment. Grâce à lui ce jeune blanc-bec est lieutenant général de Touraine, lieutenant général du gouvernement de Bourbonnais et capitaine d'une compagnie de gardes. Si Richelieu s'est chargé de sa fortune, il finira duc et pair avec l'une des plus hautes charges du royaume.
- Je ne l'aime pas beaucoup.
- C'est fort compréhensible : il ne ressemble pas du tout à M. de Beaufort !
Sylvie se contenta de rougir et ne répondit pas.
Ce soir-là, au jeu de la Reine où venait toute la Cour, Sylvie revit le Cardinal et en éprouva une vague angoisse, mais il se contenta de lui sourire sans renouveler sa demande. Elle en fut soulagée.
Le séjour à Fontainebleau ne dura guère. Deux jours plus tard, le Roi décidait brusquement de partir pour Orléans. Louis XIII connaissait bien son frère et savait qu'il prenait peur dès que l'on s'approchait de lui, surtout avec un appareil assez formidable. Le succès fut immédiat : Monsieur tomba dans les bras du Roi, jura qu'en venant dans sa ville ducale il ne désirait que trouver un peu de repos loin des tumultes du Louvre et de Paris et, surtout, qu'il ne nourrissait envers son royal frère aucun dessein contraire à la bonne harmonie d'une famille. Sylvie, pour sa part, jugea le duc d'Orléans antipathique. Il était plus beau que le Roi et ne manquait pas d'un certain charme enveloppant, mais elle détesta sa bouche molle et son regard qui se promenait toujours en haut, en bas, à gauche ou à droite mais jamais - ou si rarement ! - sur son interlocuteur. En fait, quand on le voyait auprès de son frère il ressemblait assez à une copie au lavis, plus incertaine et plus moelleuse, d'une eau-forte, et Sylvie comprit mieux l'exclamation de la Reine quand, au moment de la conspiration de Chalais, on lui prêtait l'intention d'épouser son beau-frère après la mort de son époux : " Je ne gagnerais pas au change ! "
Le soir même, le Roi envoyait à ses généraux d'armée et à ses gouverneurs de province une lettre disant que Monsieur l'ayant assuré de son affection, il oubliait volontiers la faute qu'il avait commise en se retirant sur ses terres " sans prendre congé de lui ", autrement dit sans sa permission. Formule diplomatique pour faire entendre que le duc d'Orléans était revenu dans la voie du devoir et que l'ennemi ne devait plus compter sur une aide quelconque de sa part.
Il ne restait plus qu'à rentrer chacun chez soi et, tandis que Monsieur embarquait dans sa galiote pour descendre à Blois par la Loire, la Cour se sépara : le Roi voulait rentrer aussi vite que possible dans son petit château de Versailles, cependant que la Reine décidait de s'arrêter à Chartres pour y faire ses dévotions à Notre-Dame et la prier de lui donner le Dauphin qui ne venait pas. Mlle de La Fayette, souffrante, avait obtenu la permission de regagner Paris dès le départ de Fontainebleau. Elle souhaitait en outre faire une brève retraite dans un couvent. Permission qui lui fut accordée d'autant plus facilement que ses yeux continuellement rougis par les larmes et les nuits sans sommeil agaçaient la souveraine.
Pour sa part, Sylvie était ravie de rentrer à Paris où les chances de rencontrer François étaient plus nombreuses que sur les grands chemins. Une surprise l'y attendait sous la forme d'une lettre de son parrain lui demandant de passer le voir dès que son service le permettrait.
Depuis six mois, en effet, Perceval de Raguenel n'était plus qu'écuyer honoraire de la duchesse de Vendôme et s'était installé à Paris dans l'élégant quartier du Marais. L'héritage inattendu d'un cousin à peine plus âgé que lui, célibataire et sans autre famille, lui avait apporté une large aisance. Le cousin, qui n'aimait au monde que la mer et courait l'océan sous des lettres de marque, en avait rapporté une assez jolie fortune et un mauvais coup de sabre. Il avait réussi à revenir dans sa maison de Saint-Malo pour y mourir, en léguant son navire, son équipage et le reste de ses biens à Perceval avec qui il s'était battu plus d'une fois dans leur enfance, qu'il n'avait pas beaucoup revu depuis, mais qu'il estimait être " le seul homme convenable qu'il eût rencontré sur cette foutue planète ".
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