- Le Cardinal possède de nombreux bénéfices, abbayes ou autres, qui lui ont constitué sa fortune. C'est beau, n'est-ce pas ?
- Presque trop !
- Je crois sentir une légère critique dans votre voix ? Je pense, moi, que rien n'est trop beau qui embellisse la vie... ou la personne !
Il était lui-même un parfait modèle d'élégance et si son costume de velours gardait une tournure vaguement militaire, son baudrier brodé d'or et de perles fines devait valoir une fortune. En outre, il répandait à chaque geste une odeur suave.
Dans le premier salon, on trouva Mme de Combalet qui, chez son oncle, faisait office de maîtresse de maison... ou de maîtresse tout court selon les avis. Elle n'en offrait pas moins une image de respectabilité dans ses vêtements étalant un deuil fastueux - son époux était mort après quelques mois de mariage - qui convenait tout à fait à sa beauté.
La vue de Mlle de Hautefort ne parut pas l'emplir d'une joie extravagante, encore qu'elle eût offert à Cinq-Mars un beau sourire.
- Vous n'êtes pas, que je sache, parente de Mlle de L'Isle ? En ce cas, pourquoi l'avoir accompagnée quand je suis là pour la recevoir ?
Il en fallait davantage pour démonter l'Aurore. Relevant son joli nez, elle toisa la dame, nettement plus petite qu'elle.
- C'est justement parce qu'elle n'a aucun parent que la Reine juge bon de la faire accompagner. Elle est trop jeune pour courir les rues sans protection.
- Nous pouvions l'envoyer chercher.
- Mais vous ne l'avez pas fait et c'est tant mieux. À présent...
- A présent, vous voudrez bien attendre dans ce salon en compagnie de M. de Cinq-Mars ! Son Éminence ne veut partager avec personne le plaisir qu'elle se promet... Donnez-moi cette guitare !
Il fallut bien en passer par là mais, à la colère qui flambait dans ses grands yeux, on sentait que la fière jeune fille n'était guère habituée à faire antichambre. Avec humeur, elle se laissa tomber dans un fauteuil tandis que Cinq-Mars, assez vexé lui aussi, s'établissait dans un autre et en indiquait un troisième au page qui avait porté la guitare depuis le Louvre.
Conduite par Mme de Combalet, Sylvie traversa une galerie peuplée de statues d'hommes illustres, la seule femme étant Jeanne d'Arc, avant d'atteindre le cabinet où Richelieu l'attendait, assis au coin du feu, un chat entre les rnains, un autre dormant paisiblement sur le coussin où reposaient les pieds de son maître. Il semblait las et son teint jaune était celui d'un malade, mais il n'en accueillit pas moins sa visiteuse avec une grande gentillesse :
- Sa Majesté est infiniment bonne de vous prêter à moi pour un moment. J'ai grand besoin, ce soir, de bonne musique.
- Votre Éminence est souffrante ? demanda Sylvie en accordant son instrument.
- Un peu de fièvre, peut-être... et aussi les soucis de l'État. Qu'allez-vous me chanter ?
- Ce qu'il plaira à Votre Éminence. Je sais beaucoup de vieilles chansons mais je connais peu les nouvelles.
- Connaissez-vous " Le Roy Renaud " ? C'est une chanson de toile du siècle dernier. Ma mère l'aimait beaucoup...
Sylvie sourit, préluda et se mit à chanter. Elle n'aimait guère l'histoire de ce roi qui s'en revient mourir auprès de sa femme accouchée d'un fils et qui ne veut pas qu'on l'avertisse de son état. Sa mère tente de donner le change sur les bruits qu'entend la jeune femme mais, aux larmes qu'elle ne peut retenir, celle-ci comprend. Alors :
Ma mère, dites au fossoyeux Qu'il fasse la fosse pour nous deux Et que l'espace y soit si grand, Qu'on y renferme aussi l'enfant...
Le Cardinal avait fermé les yeux et, tenant son chat sur son giron, laissait ses longs doigts courir dans la fourrure soyeuse.
- Chantez encore ! ordonna-t-il quand elle eut fini, mais sans ouvrir les yeux. Ce que vous voudrez !
Elle obéit, interpréta une chanson de Marguerite de Navarre, puis " Si le Roy m'avait donné " et enfin " l'Amour de moy " qui était sa préférée. Le Cardinal semblait tellement détendu qu'elle se demanda s'il ne dormait pas, mais quand elle voulut se lever, il releva brusquement les paupières :
- Chantez encore, s'il vous plaît ! Votre voix est fraîche et pure comme une source. Elle me fait un bien infini. À moins que vous ne soyez fatiguée ?
- Non, mais... je voudrais boire un peu d'eau...
- Prenez plutôt un doigt de malvoisie ! Il y en a sur ce meuble là-bas, ajouta-t-il en étendant une main vers un coin de la vaste pièce.
Sylvie se leva, alla se servir, consciente qu'il suivait chacun de ses gestes. Lorsqu'elle eut bu quelques gouttes de vin, Richelieu demanda :
- Aimez-vous quelqu'un ?
La question était si inattendue que la jeune fille faillit laisser échapper le verre de cristal gravé. Elle se reprit vite, posa le verre et, se retournant vers le Cardinal, elle dit en le regardant bien en face :
- Oui.
- Ah !...
Il y eut un silence, meublé seulement par le crépitement des flammes dans la cheminée. Sylvie allait revenir prendre sa place quand il lui demanda de le servir.
- Moi aussi, je boirais bien un peu de vin... N'étant pas votre confesseur, je ne vous demanderai pas qui vous aimez. Cela me contrarie mais ne me regarde pas.
- De toute façon, monseigneur, c'est une question à laquelle je ne répondrai pas, mais je suis contente que vous me l'ayez posée.
- Pourquoi donc ?
- Parce que... Elle hésita un instant, puis prit son courage à deux mains et se lança : " Parce que monseigneur comprendra mieux pourquoi je ne puis en aucun cas regarder favorablement la personne que Votre Éminence a pris la peine de me présenter. "
- Ce pauvre La Perrière ne vous plaît pas ?
- Non, monseigneur. Pas du tout ! Et je n'arrive pas à imaginer qu'il ait prié Votre Éminence de demander ma main à Mme la duchesse de Vendôme.
- Ah ! vous savez cela ?
- Oui, monseigneur... et je supplie Votre Éminence de bien vouloir remercier M. de La Perrière de l'honneur qu'il me fait, mais de le prier aussi de ne pas s'opiniâtrer dans une recherche qui ne peut le mener à rien.
- Mais qui me convenait peut-être à moi ?
Le ton s'était fait plus raide, pourtant Sylvie ne se troubla pas :
- Oh ! monseigneur ! Je suis de trop peu d'importance pour que mon sort occupe même un instant un prince de l'Église, un ministre tout-puissant.
De nouveau le silence, puis Richelieu tendit la main.
- Venez là, petite ! Plus près ! Tenez, asseyez-vous sur ce carreau afin que je puisse lire dans vos yeux.
Elle s'exécuta, vint s'asseoir à ses pieds sans chercher à fuir le regard impérieux planté dans le sien. Et soudain, il sourit :
- Vous n'avez pas du tout peur de moi, n'est-ce pas ?
C'était dit si doucement qu'elle lui rendit son sourire :
- Non, monseigneur. Pas du tout ! répondit-elle en secouant ses boucles brillantes.
- Eh bien, au moins, vous êtes franche ! Dieu que c'est reposant pour un homme comme moi qui ne vois que faux-semblants, visages confits, terrifiés ou méprisants. En dehors, bien sûr, de celui du Roi et de quelques autres fort peu nombreux. Alors, si vous ne me craignez pas, je vais vous proposer un marché...
- Je n'y suis guère habile, monseigneur, et...
- Il n'y a besoin là d'aucune habileté : on ne vous parlera plus du baron de La Perrière mais, en échange, vous viendrez quelquefois chanter pour moi !
La réponse arriva aussitôt, spontanée, tandis que s'illuminaient les jolis yeux noisette.
- Oh ! avec joie ! Aussi souvent que Votre Éminence le voudra ! Enfin... bien entendu, si la Reine y consent.
- Bien entendu ! Soyez certaine que je n'abuserai pas ! À présent, chantez-moi encore quelque chose !
Sylvie reprit sa guitare mais, à cet instant, un homme parut qui semblait sortir de la tapisserie, silencieux comme un fantôme, un moine dont l'âge avait élargi la tonsure et clairsemé la longue barbe. Richelieu fit signe à Sylvie de cesser son prélude.
- Qu'y a-t-il, père Joseph ?
Sans répondre, Joseph du Tremblay s'approcha, se pencha à l'oreille du Cardinal et lui parla bas. Aussitôt le visage détendu de Richelieu se durcit :
- Nous allons aviser !... Mademoiselle de L'Isle je dois vous renvoyer car il me faut retourner à ma tâche. Mme de Combalet vous attend dans la galerie ainsi que votre " escorte ". Merci pour ces quelques moments mais, lorsque vous reviendrez - et j'espère que ce sera bientôt - je vous enverrai chercher afin de ne pas désorganiser le service de Sa Majesté la Reine... Dieu vous garde !
Sylvie lui offrit une belle révérence, reprit sa guitare et s'en alla rejoindre Cinq-Mars et Marie qui se morfondaient.
- Eh bien, remarqua le jeune homme, vous avez donné un vrai concert, si j'en crois le temps passé ?
- Ne vous plaignez pas, cela aurait duré davantage encore si un certain père Joseph n'était ?ntré pour réclamer l'attention du Cardinal.
- Brr ! fit Mlle de Hautefort, rien que le nom de ce vieillard me fait frémir. Comment avez-vous trouvé Son Éminence ?
- Fort aimable ! Je suis même invitée à revenir si la Reine le permet...
- Oh ! elle permettra ! Vous venez d'apprécier comme il est facile de dire non au Cardinal. À propos, vous a-t-il au moins offert un présent ?
- Non, s'écria Sylvie toute contente, il a fait mieux : il a promis qu'on ne parlerait plus de ce mariage ridicule avec M. de La Perrière !
On descendait alors l'escalier d'honneur que remontait le Lieutenant civil de Paris. Il salua poliment les deux jeunes filles mais son regard jaune se posa sur Sylvie avec une expression de colère que démentait son sourire crispé.
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