— Mais c’est impossible, voyons ! Elle a été amenée au château comme nous-mêmes sans savoir où elle allait et dûment encadrée ! Ce qui laisserait supposer que ce quelqu’un a réussi à la suivre en dépit des menaces ?
— Je vous dis ce que j’ai vu et j’imagine que son père, le banquier Kledermann, était parvenu à prendre quelques précautions pour qu’elle soit surveillée…
— Donc elle ignore qu’on lui a tiré dessus ?
— On peut le croire…
On pouvait, en effet, mais au fond rien n’était moins sûr étant donné ce qu’Adalbert avait vu et qu’il était bien décidé à garder pour lui jusqu’à nouvel ordre. Lisa était partie en courant vers la lisière du bois où attendait une voiture. Aldo l’avait suivie et lui-même suivait son ami. L’un comme l’autre à une certaine distance. Cela ne l’avait pas empêché de voir Lisa se précipiter au cou de l’homme à la voiture qui avait démarré aussitôt. Il avait alors entendu Aldo crier « Lisa ! » et le coup de feu avait suivi, à peu près de l’endroit où stationnait la voiture un instant plus tôt… Puis plus rien ! Adalbert aurait voulu courir à la poursuite de l’assassin mais il y avait Aldo gisant dans son sang et il avait appelé à l’aide…
Il se retint de confier cela à Pauline parce qu’il n’était certain de rien sinon d’avoir vu Lisa rejoindre cet inconnu et disparaître avec lui. La présence du meurtrier à ce même endroit pouvait être un simple effet du hasard et il ignorait tout des résultats des investigations de la gendarmerie : la priorité absolue c’était Aldo peut-être en train de mourir… Grâce à Dieu et au commissaire Desjardins, de Chinon, ils étaient intervenus à une vitesse record. Aussi Adalbert avait-il remis à plus tard d’éclaircir un mystère qu’il ne pouvait s’empêcher de juger monstrueux. Tout en lui se révoltait à la pensée que Lisa pût avoir un amant, même s’il lui était arrivé de se dire qu’Aldo ne l’aurait pas volé, mais que cet homme eût décidé de tuer son rival et qu’elle en soit complice, non, cent fois non, mille fois non ! Elle avait l’âme trop haute pour cela en dehors du fait que le couple avait trois bambins qu’elle adorait. Au point d’agacer parfois son mari lui reprochant d’être mère plus qu’épouse ! Une telle femme ne pratiquait pas les aventures extraconjugales ! Alors ?… Alors il fallait mettre de côté tout ce fatras ! Il y avait une priorité autrement plus exigeante…
Et Adalbert finit par fermer les yeux…
Trois heures s’écoulèrent avant que la porte ne s’ouvrît devant le chirurgien revêtu de sa blouse blanche dont il avait retroussé les manches au-dessus des coudes, son bonnet toujours sur la tête. C’était un homme de taille moyenne qui semblait incroyablement jeune, dont les traits réguliers eussent pu paraître sévères sans le pli un rien moqueur relevant un coin de sa bouche. Mais le regard d’Adalbert s’était porté en premier sur ses mains qu’il achevait de sécher : des mains fines et nerveuses aux doigts courts mais fuselés qui devaient être d’une grande habileté.
Tous s’étaient levés à son entrée mais les gorges étaient trop serrées pour libérer une question. Alors il leur sourit :
— Je pense que vous pouvez reprendre espoir. Sauf complications, il devrait s’en tirer mais il a eu une chance incroyable due sans doute à un mouvement involontaire de la tête.
— Il courait quand il a été atteint, expliqua Adalbert.
— C’est peut-être ce qui lui a sauvé la vie. La balle que nous avons extraite n’a pas touché le cerveau mais il s’en est fallu d’un cheveu, à un demi-centimètre près il était tué net ! Vous allez pouvoir prendre quelque repos… et moi aussi… Eh là ! Doucement ! Il vaudrait mieux vous occuper de cette belle dame !
Un même élan avait jeté les trois hommes vers lui. Pauline quant à elle avait choisi de s’évanouir.
— Je m’en occupe, calma l’infirmière en chef qui suivait M. Lhermitte.
— Et il n’aura pas de séquelles ? s’enquit Adalbert.
— Vous voulez savoir si son intelligence est intacte ou une quelconque de ses facultés ? N’oubliez pas que j’ai dit : sauf complications. J’espère sincèrement que non mais on ne peut jurer de rien.
— Il est réveillé ? demanda le professeur.
— Pas encore et, si vous le permettez, je vais voir ce qu’il en est. Revenez cet après-midi ! Ou plutôt téléphonez. Je ne pense pas que je pourrai vous autoriser à le voir ! Cette dame est sa femme peut-être ? ajouta-t-il en désignant Pauline que l’infirmière venait de ranimer.
— Non. Sa cousine. Elle était comme lui captive au château.
— Elle a besoin de repos elle aussi !
— Nous allons nous installer à l’hôtel pour attendre les nouvelles, dit Adalbert. Le professeur de Combeau-Roquelaure nous offrait l’hospitalité mais Chinon dans les circonstances présentes est un peu loin. En outre, il nous faut prévenir sa famille…
— Dans ce cas, Mme Vernon va vous faire sortir par-derrière pour vous éviter la foule.
— Et surtout les journalistes, fit l’infirmière en chef. Il paraît que tous ceux de la ville sont déjà là. Et il va en venir d’autres…
— On leur communiquera une annonce tout à l’heure ! À bientôt, messieurs, et vous aussi madame ! Et soyez tranquilles, nous ferons en sorte de protéger le repos de notre patient ! ajouta le chirurgien. La police y veillera de près !
Quelques instants plus tard, ils rejoignaient la voiture d’Adalbert que le professeur avait récupérée et effectuaient à l’hôtel – d’ailleurs prévenu ! – une entrée discrète par le garage. Trois chambres étaient prêtes et Pauline, visiblement à bout de nerfs et de forces, trouva le lit dont elle avait tant besoin et les soins d’une gentille femme de chambre.
Beaucoup plus frais qu’elle parce que n’ayant pas eu à subir le cauchemar de la dernière nuit à la Croix-Haute après des semaines de captivité, Adalbert, Wishbone et le professeur se firent servir un petit déjeuner copieux dans une petite salle tranquille de l’hôtel mais, avant de passer à table, Adalbert voulut téléphoner à Paris chez Mme de Sommières :
— Elle et Plan-Crépin n’ont pas dû dormir beaucoup depuis notre départ, crut-il bon d’expliquer.
En fait, personne n’avait fermé l’œil rue Alfred-de-Vigny car, dès la première sonnerie, Marie-Angéline décrocha et poussa un énorme soupir de soulagement en reconnaissant sa voix.
— Enfin ! exhala-t-elle. On n’en pouvait plus !
— Ce n’est pas possible, vous campez chez le concierge ?
— Non. Au pied de l’escalier : la ligne est prolongée. Alors où en êtes-vous ?
— Ce serait un peu long à vous raconter mais, en gros, les prisonniers ont été délivrés, la Croix-Haute a flambé toute la nuit mais…
Il hésita, ne sachant pas trop comment annoncer le drame et tout de suite elle s’énerva :
— Mais quoi ? Parlez, sacrebleu ! Il est arrivé quelque chose à Aldo ?
— Oui, un coup de feu à la tête, mais il a été transporté à l’hôpital de Tours où on vient de l’opérer. Et le chirurgien s’est montré assez rassurant. Aussi…
— Ça suffit. On arrive ! Vous êtes où ?
— Hôtel de l’Univers à Tours !
— Retenez deux chambres ! On file à la gare et on prend le premier train !
— Il vous faut tout de même le temps de faire des valises.
— Elles sont prêtes depuis votre départ. Arrangez-vous pour venir nous chercher !
Ce fut son dernier mot : elle avait raccroché et il ne resta plus à Adalbert qu’à rejoindre les autres.
— Vous n’avez pas été long ! remarqua le Texan.
— Si elles ne sont pas déjà dans le train, elles ne vont pas tarder à y être, ricana le professeur. Je parie pour celui de dix-huit heures dix !
— On y sera !
En fait, Adalbert était seul sur le quai de la gare… Lui et les deux autres finissaient tout juste de déjeuner quand l’inspecteur Savarin – fleuron épineux de la police de Chinon – leur tombait dessus avec toute la grâce dont il était capable : il venait chercher Cornélius B. Wishbone et le professeur de Combeau-Roquelaure pour les emmener chez le commissaire Desjardins, son patron, aux fins d’interrogatoire, sans cacher que, si le second allait devoir raconter comment lui et Vidal-Pellicorne avaient réussi à pénétrer dans le château au moment du drame, le premier risquait une inculpation de complicité puisqu’il faisait partie de l’entourage immédiat de Lucrezia Torelli, l’avait aidée à quitter l’Angleterre discrètement et jouissait, au château, du statut d’invité. Ce qui avait fait bondir Adalbert lancé aussitôt au secours de son ancien rival :
— Uniquement attaché à la Torelli à laquelle il vouait un amour aussi patient qu’aveugle, il n’a rien à voir, même de loin, avec les agissements criminels de la bande. La preuve en est qu’il a bien failli périr avec le prince Morosini et Mrs. Belmont, eux-mêmes prisonniers, de la mort ignoble à laquelle ils avaient été condamnés !
— Et j’en suis témoin ! rugit le professeur.
— Eh bien, vous le direz au patron ! Quant à vous, ajouta-t-il pour Adalbert, on vous entendra plus tard quand on sera fixé sur le sort de votre ami ! De même, je devrai normalement emmener aussi la dame Belmont, également ex-prisonnière…
— Pour l’amour de Dieu, fichez-lui la paix ! Après ce qu’elle a enduré elle a besoin de dormir, surtout si vous y ajoutez la matinée passée à l’hôpital !
— Je veux bien vous l’accorder… mais il faudra forcément qu’à un moment ou à un autre, elle vienne déposer ! Comme vous ! C’est la loi !
— Est-ce que vous ne feriez pas mieux de courir après la bande de truands qui s’était emparée de la Croix-Haute ? Je parierais que vous n’en tenez pas un seul ?
— Je ne suis pas là pour vous faire des confidences ! Et vous avez tout intérêt à vous tenir tranquille !…
Impatienté, le professeur s’en mêla :
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