— Vous avez vu l’heure ? Et je vous avais avertie que si vous n’étiez pas là à sept heures je préviendrais Langlois !
— Que ne l’avons-nous fait : j’étais chez lui justement.
— On vous avait arrêtée ?
— Non. J’y étais allée de mon plein gré pour lui raconter ce dont j’avais été témoin. Bonjour, Adalbert, bonjour, Aldo ! Quel dommage que vous ne soyez pas rentrés plus tôt ! Je vous raconte mes péripéties dans cinq minutes. Permettez que d’abord j’offre des excuses à notre marquise !
— Plus tard, les excuses ! Passons à table ! Vous nous raconterez vos exploits en dînant ! Eulalie doit déjà être en transe !
Le ton raide tentait de masquer l’inquiétude que Mme de Sommières venait de vivre et qu’après une ou deux respirations profondes elle acheva d’éradiquer en se faisant servir par Cyprien et avant même le potage, un verre de… chambertin qu’elle avala d’un trait et qui lui rendit des couleurs. C’était tellement inattendu chez cette prêtresse du champagne qu’Aldo réclama :
— Puisqu’on balaie les traditions, on ne serait pas contre la même médecine, fit-il repris en chœur par les deux autres.
Après quoi on renvoya le potage à la cuisine « pour ne pas se noyer l’estomac » et en attendant qu’apparaisse le premier plat Mme de Sommières ordonna :
— Allez-y maintenant, Plan-Crépin ! On a assez attendu ! Qu’avez-vous trouvé chez ce Grindel ?
— Grindel en chair et en os… Mais soyez tous rassurés : il ne m’a pas vue et moi je n’ai vu que ses jambes.
Et, pour cet auditoire au moins aussi attentif que le précédent, elle réitéra le récit de son aventure augmenté de sa visite au Quai des Orfèvres. Le plus prompt à réagir fut Adalbert :
— Mais sacrebleu pourquoi les Suisses ne l’ont-ils pas bouclé purement et simplement ?
— Pour un faux témoignage que d’ailleurs Lisa a confirmé ? Ce n’est pas suffisant ! répondit Aldo. Un bon avocat pourrait alléguer une foule de raisons. Ils l’ont seulement mis en résidence surveillée…
— Bravo pour la surveillance ! Et où est-ce que l’on va le trouver à présent ? De toute évidence, il n’habite plus son appartement où il est rentré en catimini et très certainement pour récupérer les sacs. Toi qui la connais, penses-tu qu’ils puissent contenir la collection de ton beau-père ?
— Privée de ses écrins sans aucun doute ! Une bague, une paire de bracelets, cela ne tient guère de place… Il faut seulement espérer qu’aux mains de ce vandale elle n’aura pas trop souffert !
— Incroyable ! s’écria la marquise en lâchant bruyamment son couvert dans son assiette. Je n’aurais jamais cru vivre assez vieille pour entendre une chose pareille ! Chez moi et venant de vous deux !
— Quoi donc, Tante Amélie ?
— Les bijoux ! Encore les bijoux ! Toujours les bijoux ! Et ce malheureux Kledermann ? Il me semble qu’avant de vous préoccuper de sa collection vous pourriez songer à lui, à sa vie ! Si j’ai bien compris le reportage de Plan-Crépin, il lui reste quinze jours à vivre et vous…
Elle était au bord des larmes. Aldo posa sa main sur la sienne qu’elle pressa affectueusement.
— Naturellement nous y pensons. Admettez cependant que la meilleure façon de préserver sa vie est de courir à la recherche de son bien le plus précieux après sa fille et ses petits-enfants ! Or comme vous venez de le faire remarquer nous ne disposons que de quinze jours…
— … et pas la moindre idée de l’endroit où Grindel devrait apporter l’un des sacs ! compléta Plan-Crépin…
— Si vous avez des lumières là-dessus, ne vous gênez surtout pas pour nous éclairer ! fit Aldo agacé.
— Vous en savez autant que moi, alors faites marcher vos petites cellules grises, comme dirait Hercule Poirot, le petit Belge perspicace de cette Mme Agatha Christie que nous avons eu le plaisir de rencontrer en Égypte !
Adalbert se mit à rire, ce qui eut l’avantage de détendre l’atmosphère.
— Du calme tous les deux ! Ce n’est pas en se bagarrant qu’on fera avancer les choses !
— Tu aurais une idée ?
— Je vous la donne pour ce qu’elle vaut. Selon moi, cela ne devrait pas être très loin de l’endroit où le corps du faux Kledermann a été retrouvé.
— Là-haut, près de Dieppe ?
— La falaise de Biville ?
— Pourquoi pas ? Essayons de raisonner ! Grindel n’a pas dû disposer de beaucoup de temps pour cambrioler la chambre forte. D’autre part, il ne pouvait pas aller jusqu’en Angleterre récupérer la clef aussitôt après l’enlèvement…
— C’est entendu, cela lui aurait valu un sacré bout de chemin pour regagner Zurich ! Sans compter le passage des frontières.
— … qu’il pouvait à ce moment-là franchir sans difficulté. Je vous rappelle que c’est un as du volant possesseur d’au moins une voiture de course ! On avale des kilomètres avec ça !
— La voiture que j’ai aperçue avenue de Messine n’avait rien d’un bolide, observa Plan-Crépin. Plutôt grise et petite, elle n’avait rien peur attirer l’attention. L’idéal pour passer inaperçu ou pour faire des achats dans Paris. Aussi j’ai dans l’idée qu’il ne devait pas aller bien loin.
— Ce qui veut dire ?
— Qu’il doit avoir un autre pied-à-terre ici ou dans la proche banlieue parisienne. Même s’il y avait une bouteille de rhum et si un certain désordre régnait dans le bureau, cet appartement n’a pas été occupé depuis plusieurs jours.
— Il serait seulement venu y récupérer les sacs qu’il y aurait entreposés après le vol ? fit Aldo dubitatif… N’était-il pas plus simple de les rapporter en Suisse ? Évidemment il y a la frontière à passer !
— Quelque chose me dit que ça ne devrait pas lui poser de problèmes ! émit Adalbert. Il est bâti comme un montagnard, ce type…
— Beaucoup le sont, en Suisse, fit remarquer Tante Amélie. C’est le pays qui veut ça !
— Sans doute, mais j’aimerais tout de même savoir où il est né. Il faudra le demander à Langlois. En admettant que ce soit du côté du Jura, il pourrait connaître certains chemins de contrebandiers…
— Tu rêves, mon vieux !…
— Alors sois bon, ne me réveille pas encore ! Voilà comment je vois le tableau : une belle nuit, il monte avec sa voiture jusqu’à une distance raisonnable de la ligne frontalière. Il la laisse dans une planque repérée d’avance et continue son trajet à pied. Arrivé en Helvétie, il cache les sacs dans un coin X ou Y, retourne chercher l’auto puis s’en va tranquillement présenter son passeport aux douaniers, fait un bout de route, après quoi, la nuit suivante par exemple, il ne lui reste plus qu’à récupérer le trésor de l’oncle Moritz !
— Ingénieux ! apprécia Plan-Crépin, mais, dans ce cas, pourquoi avoir laissé cette fichue collection ici ? Il doit bien avoir un endroit où la cacher ?
— Sans doute, mais son associé est en Suisse lui aussi, même si c’est un canton différent, et comme Grindel n’a nulle envie de partager et qu’il est suspect à Zurich, il a jugé plus prudent de revenir en France où il avait jusqu’à présent une situation confortable, bénéficiant du privilège d’être un banquier suisse, dirigeant une banque suisse. Évidemment, de la façon dont tournent les choses, il devenait urgent de reprendre possession de ladite collection dans cet appartement où la police risque de venir farfouiller… et là-dessus le coup de téléphone de Borgia vient lui tomber sur le poil. Peut-être même s’est-il affolé ? Il ne s’attendait pas à ce qu’on lui annonce que son oncle est toujours bien vivant et qu’on le tient caché, tout prêt à ressusciter si Grindel s’obstine à faire cavalier seul et à garder le magot pour lui ! À la réflexion, ce doit être cette dernière explication qui est la bonne…
— Alors autre question : comment Borgia a-t-il su qu’il était là pour lui répondre ? demanda Plan-Crépin.
— Coup de pot peut-être ? soupira Aldo. Il a dû essayer tous les endroits où il pensait le joindre ! Au fait, Angelina, avez-vous eu l’impression que la communication venait de loin ?
Elle ne répondit pas tout de suite, cherchant à mieux se souvenir. Sur le moment – sidérée de ce qu’elle entendait –, elle n’avait pas prêté attention à ce détail. Mais maintenant…
— Alors ? la pressa Adalbert sur la main duquel la marquise assena une pichenette péremptoire.
— Ne la bousculez pas ! C’est le meilleur moyen de lui embrouiller les idées !
— Elle, les idées embrouillées ? Ça m’étonnerait !
Cependant Plan-Crépin réfléchissait toujours et soudain :
— Non… je n’ai entendu aucun de ces bruits de l’inter. C’était vraiment net ! J’avais l’impression que Borgia était dans la pièce à côté !
— Donc il était à Paris lui aussi ! Tonnerre de Brest ! J’aimerais bien aller faire un tour dans cet appartement ! Un bureau en désordre enjolivé d’un tas de paperasses ! J’adore ! Et où pensez-vous qu’il aurait dissimulé les sacs ?
— Je n’ai pas eu la latitude de chercher, mais pas dans le coffre, je suis formelle. Les sacs sont trop volumineux pour y trouver place. Et maintenant Langlois va sûrement envoyer une équipe. Au fond, j’ai fait une bêtise de me précipiter chez lui comme je l’ai fait !
— Ne vous adressez surtout pas de reproches, la rassura Aldo. C’était la conduite à tenir puisque vous ne saviez pas que nous rentrions. Vous méritez même une couronne de lauriers pour l’audace dont vous avez fait preuve car vous avez risqué gros et vous avez obtenu un sacré résultat !
— Et à présent qu’est-ce qu’on fait ? s’enquit Adalbert en poursuivant dans son assiette une framboise échappée de sa tarte.
— Laissez-moi réfléchir un instant ! Au point où nous en sommes, la priorité est de retrouver Kledermann avant qu’il ne passe de vie à trépas pour de bon cette fois…
— En espérant que ce qu’il subit depuis son enlèvement ne l’a pas trop éprouvé, fit Mme de Sommières. Sa santé n’était pas des meilleures et ce n’était pas sans raisons que Lisa se tourmentait à son sujet. N’avait-on pas songé au cancer ?
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