- Mais comment est-ce possible ? s'exclama Laura qui n'arrivait pas à s'en remettre.

- Personne n'en sait rien et peut-être même la pauvrette l'ignore-t-elle aussi. Je ne sais si Mme de Tourzel vous a dit qu'elle est sujette à des pertes de connaissance en cas de forte émotion. Il y a environ deux mois qu'elle a appris le sort affreux de ses parents. Mme de Chanterenne n'était pas encore au Temple à demeure. Quelqu'un en a-t-il profité ?...

- Vous voulez dire qu'elle aurait été violée ?

- Pourquoi pas ? Ce qui m'étonnera toujours, c'est que cela ne lui soit pas arrivé plus tôt avec les brutes qui la gardaient. D'autre part, il se peut qu'au moment de cette grande douleur, on ait essayé de lui apporter quelques consolations. Quelqu'un de jeune, de tendre qui lui aurait offert une épaule pour pleurer. Ce Gomin par exemple qui lui voue une sorte de culte et dont elle a demandé qu'il l'accompagne à Vienne ?

- Je ne crois pas. La première version me semble plus probable quand on la connaît. En dépit de ses malheurs elle a gardé tant de fierté ! C'est... c'est inimaginable !

- Je pense comme vous. Quoi qu'il en soit, il n en reste pas moins que nous avons un grave problème à résoudre... mais qu'avec votre aide je peux y apporter une solution.

- Laquelle mon Dieu ? Il ne serait plus question de la remettre à l'Autriche ?

- Oh ! mais si ! La remise aura lieu vers la fin de l'année à la frontière suisse, près de Huningue je pense...

- Mais enfin c'est impossible ? Que dira l'empereur en constatant l'état de sa nièce ? Le mariage avec l'archiduc est désormais irréalisable. Ce qui d'ailleurs ne ferait guère de peine à la princesse...

- Et pourtant nous remettrons aux Autrichiens la fille de Louis XVI aussi pure que le jour de sa naissance...

- Ne me dites pas que vous comptez lui faire subir cette abomination ? s'écria Laura horrifiée. Un... avortement ?

- J'ai dit aussi pure que le jour de sa naissance.

- Seriez-vous Dieu, par hasard ? Personnellement j'en serais ravie bien que je ne le voie pas ainsi.

- Vous avez tort : Dieu a fait l'homme à son image, dit vertueusement Bénézech. J'admets que ce soit parfois difficile à croire. Maintenant je vais vous raconter une histoire. Vous allez la trouver intéressante.

Bénézech alla enfin s'asseoir à son bureau, posa ses coudes sur la table et joignit ses doigts par le bout :

- Lorsque le roi Louis XVI a épousé Marie-Antoinette, leur union n'a pas été complète dès le début de leurs relations. Le roi était empêché de procréer par la faute d'une petite malformation nécessitant une opération chirurgicale plutôt douloureuse et, bien qu'il eût été homme de grand courage - il l'a prouvé hautement ! - il ne pouvait se résoudre à cette désagréable obligation. Au moment du mariage le couple était fort jeune, et c'est seulement au bout de sept ans que Sa Majesté s'est soumise au couteau libérateur. Cela fait, il ne pouvait être question pour lui d'aborder la Reine sans être certain de réussir pleinement. Aussi décision a-t-elle été prise de lui faire courir... ce que l'on pourrait appeler un galop d'essai. Et pour cela on choisit une jeune femme, déjà mère, dont l'époux était valet du comte de Provence puis de Madame Elisabeth. Et la tentative réussit : la petite Marie-Philippine Lambriquet vint au monde deux mois avant Mme Royale avec laquelle, d'ailleurs, elle a une certaine ressemblance. Elles ont été élevées ensemble : après la mort de la mère survenue en 1788, la Reine a pris la petite au château et l'a traitée comme sa propre fille. Simple changement : ses prénoms de Marie-Philippine étant aussi ceux de Madame Elisabeth, la Reine lui a donné le nom d'Ernestine. Et cette enfant après avoir vécu à la cour a suivi la famille royale dans tous ses déplacements, hormis le malencontreux voyage à Varennes. La veille du 10 août, elle était encore aux Tuileries et c'est à ce moment qu'elle a disparu, emmenée par Mme de Soucy, la fille de Mme de Mackau. Je sais où elle est. J'ajoute, afin que vous compreniez mieux encore, que l'empereur François dans l'acte officiel qui réclame Madame Royale, demande que Mlle Lambriquet l'accompagne...

- En quoi cette jeune fille peut-elle intéresser l'empereur ?

- En ce qu'il n'ignore pas qu'elle est fille de France presque autant que sa nièce et qu'il ne voit pas d'inconvénient, au contraire, à ce qu'elle en prenne la place. Evidemment elle n'épousera pas l'archiduc et vivra à Vienne au moins aussi cachée que Madame Royale au Temple. Dans les premiers temps. Ensuite on verra.

- Autrement dit, l'empereur sait ce qui est arrivé ? Alors pourquoi la faire venir quand même, jouer cette comédie qui devient ridicule ?

- Parce que, si vous l'ignorez, la princesse est riche. Avant l'équipée de Varennes, la reine Marie-Antoinette avait fait passer à Bruxelles une importante somme d'argent et aussi ses bijoux personnels que son coiffeur Léonard s'était chargé d'emporter dans ses bagages. Cela représente une fortune et l'Autriche aimerait bien mettre la main dessus.

- Dans ce cas, pourquoi ne pas la faire venir elle-même si c'est pour la cacher ?

- Pour démentir à tout prix le bruit d'une future maternité qui a déjà transpiré jusqu'à Naples où la reine Marie-Caroline, sour de Marie-Antoinette, s'en indigne. Même si elle vit en retrait, la fausse Madame Royale pourra offrir jour après jour aux rares personnes qui l'approcheront la vue d'une taille qui ne changera pas de volume.

- Si je comprends bien, cette grossesse est en train de devenir le secret de Polichinelle.

- N'exagérons rien ! Je n'ai cité jusqu'ici que deux personnes, l'empereur et la reine de Naples. Il faut y ajouter le prince de Condé qui cantonne actuellement non loin de la frontière suisse et qui veillera sur la sécurité de la princesse au moment délicat de l'échange contre les prisonniers français d'une part et avec sa demi-sour d'autre part. Encore plus délicat bien entendu C'est à ce moment là que commencera votre rôle à vous, c'est-à-dire dès l'instant où les voitures du prince de Gavre, qui vient chercher la princesse, auront pris le chemin de l'Autriche. Vous partirez avec elle pour le lieu, agréable rassurez-vous, mais discret où elle vivra le temps qu'il faudra. Vous serez sa... dame d'honneur, son amie, sa protectrice, sa confidente peut-être et cela pour un temps que je ne saurais déterminer. Réfléchissez et dites-moi votre sentiment !

Réfléchir ? Laura n'en avait pas besoin. Ce qu'on lui offrait c'était, avec le bonheur de vivre auprès de Marie-Thérèse et de l'enfant à venir, d'échapper à son tourment et d'échapper à l'attirance terrible qu'exerçait sur elle l'homme dont elle était certaine à présent qu'il la trahissait, qu'il l'avait sans doute toujours trahie comme, peut-être il trahissait Marie...

- J'accepte, dit-elle fermement. Et avec plus de joie que vous ne l'imaginez.

- Même si vous devez sacrifier beaucoup de temps de votre vie ?

- Surtout dans ce cas !

Le visage fatigué du ministre s'éclaira d'un sourire.

- Bien. Je vous remercie très sincèrement, madame. Vous n'ignorez pas, cependant, que cette mission peut présenter des dangers, presque aux secrets dun inévitables lorsque l'on toiicfr Etat ou d'un personnage. ne m'effraie pas.

- Je m'en doute mais cel^_ander comment je Cependant, il me faut vous de Saint-Malo une dois agir envers mes proches' chère qu'une mère amie qui m'est devenue aussi ^ajSon d'armement travaille à remettre debout la ' naval de mes ancêtres... ^rnet :

Bénézech consulta un petit <^ j} ne peut être

- Mme de Sainte-Alferine cOurant, pas plus question qu'elle soit rnise a^votrevie. qu'aucun de vos amis. Il y va ^urtant Laura avait

Le ton s'était fait sévère, ï7 encore quelque chose à dire : ^ut savoir de moi,

- Puisque vous sernblez ^erviteur qui m'est si vous n'ignorez pas que j'aj un ns à " disparaître " solidement attaché que, si je V* cjel et terre pour de façon inexplicable, il rem1* *\ jaouen. C'est un me retrouver. Il s'appelle J^ t pour la fidélité, il brave, un homme de valeur ^ pourrait sous les en remontrerait à un chien- ,f Comment dois-je tourments plutôt que rr\e trafc m'y prendre avec lui ? $ tout de suite. Il

Bénézech ne répondit P^ qu'il avait pris dans consultait à nouveau le cam^ sa poche : P>. Il serait peut-être - L'homme au crochet de * r jj vous faut, à vous bon qu'il vous accompagne ^ n'en trouveriez pas aussi, une protection et voi* gercela... de meilleure. Je verrai - Une autre question cette petite Lambriquet. Si elle part avec Madame, comment opérerez-vous la substitution ?

- De façon fort simple. Ernestine Lambriquet ne partira pas... mais Mme de Soucy qui va être chargée d'escorter la princesse jusqu'à Vienne sera autorisée à emmener son jeune fils... et sa femme de chambre.

Le dernier mot rappela Bina au souvenir de Laura .

- Moi aussi, j'en ai une. Elle est très éprise de Jaouen et si je la sépare de lui, elle est capable d'aller se jeter dans la Seine.

- Ah!

La réflexion, cette fois, fut plus longue puis le ministre demanda :

- Dévouée aussi celle-là ?

- A moi sans aucun doute... mais à Jaouen, j'en mettrais ma main au feu

- Alors qu'il l'épouse, sinon vous partirez sans lui...

Laura commençait à trouver qu'on lui en demandait beaucoup. Comme faire accepter à Jaouen une telle condition ? Elle voyait poindre à l'horizon une infinité de discussions, mais elle n'eut pas le temps de s'y attarder. Bénézech n'en avait pas encore fini et elle n'était pas au bout de ses surprises.

- Le mariage républicain devrait suffire, concéda-t-il en voyant sa visiteuse froncer les sourcils.