— Bien ! Je vais vous entendre en confession maintenant !

— Je ne vois rien d’autre à dire que ce que vous venez d’entendre, Monseigneur. Sauf bien sûr l’abandon de mon petit Nicolas ! ajouta-t-elle des larmes dans la voix, mais je vous supplie de comprendre que dans la misère où je me trouvais réduite... Je voudrais tant savoir ce qu’il est advenu de lui...

Elle s’était laissée tomber à genoux et, désespérée, sanglotait. Monseigneur de Luçon posa alors sa main sur la tête inclinée.

— J’essaierai de me renseigner, murmura-t-il. Soyez en paix : je vous donne l’absolution !

— Même si je refuse d’abandonner mon combat ?

— Nul ne peut vous y forcer. C’est une affaire entre Dieu et vous !

Traçant sur elle une dernière bénédiction, le jeune évêque appela le geôlier pour quitter la prison15...

L'ordre de comparution fut porté à Lorenza quelques jours plus tard. Elle en fut contrariée : depuis son arrivée en France, elle n’avait approché la Justice que de trop près ! Et même si elle n’était pas accusée, la perspective de se trouver en face de robes rouges ou noires qui l’assailleraient de questions plus ou moins venimeuses lui déplaisait profondément. Elle s’en ouvrit à son beau-père : existait-il un moyen de se dérober ?...

— Je ne le pense pas. Si vous vous déclarez encore malade, d’abord on ne vous croira pas, ensuite on déléguera ici les principaux de ces messieurs avec une escorte armée et tout le diable et son train. Cela les mettra de mauvaise humeur...

— Pas sûr ! Coupa Mme de Royancourt. Je crois au contraire que leur humeur deviendrait toute bénigne après un premier repas arrosé de quelques-unes de vos chères bouteilles...

— Vous n’êtes pas un peu folle ? Après ça, ils s’installeront et nous aurons toutes les peines du monde à s’en débarrasser ! J’accompagnerai Lorie, soyez tranquille !

— Moi aussi, évidemment, mais où allons-nous loger ? Votre fichu hôtel est sous les échafaudages et quant à faire rouvrir pour nous la maison de la duchesse Diane...

— Oh, elle n’y verrait aucun inconvénient mais comme nous ne ferons que passer, une honnête auberge fera aussi bien l’affaire ! Celle du Grand-Saint-Michel est proche du couvent des Grands-Augustins où le Parlement est toujours réfugié pendant les travaux du palais de la Cité. On ne va pas y rester cent ans d’ailleurs...

En pénétrant, au jour et à l’heure, dans l’immense salle ogivale où se déroulait le procès, Lorenza respira un peu mieux : la majesté et aussi la beauté de cet endroit n’offraient guère de ressemblance avec le tribunal du Châtelet qu’elle avait précédemment affront16. Les juges, sous la houlette du Premier président de Harlay, occupaient, au fond de la salle, des sièges surélevés mais moins que le trône royal, alors vide à l’exception d’une couronne et d’une main de Justice posées dessus. Deux hallebardiers en défendaient l’accès mais il convenait de le saluer avant de répondre aux questions.

Toute cette grandeur rendait plus pathétique encore l’accusée qui se tenait assise sur la sellette dont Lorenza gardait un si mauvais souvenir. Mais Jacqueline d’Escoman s’efforçait autant que le lui permettait la légère gibbosité de son dos de faire bonne figure, placée qu'elle était à ce moment sur le côté qui faisait face au siège du Procureur, afin de réserver le centre du prétoire à ceux des témoins, fauteuil ou tabouret selon la qualité. Quant au public rangé au fond de la salle, il était de toute évidence trié sur le volet et les gens de la rue n’en faisaient pas partie.

Quand, à l'appel de son nom, Lorenza s’avança vers les juges, lente et gracieuse dans ses atours de velours gris clair, une toque assortie ornée d’une plume mousseuse en équilibre sur son opulente chevelure, elle souleva un murmure admiratif dont elle ne se soucia pas.

Elle salua le trône puis les magistrats, et vint s’asseoir sur la chaise à haut dossier que l’on venait d’apporter. Alors seulement, elle tourna les yeux vers la prisonnière qui la regardait venir avec une sorte de crainte mais aussi l’esquisse d’un sourire... qu'elle lui rendit d’ailleurs, décidée à faire de son mieux pour l’aider en dépit du billet qu’une main anonyme, profitant d’une bousculade à l’entrée du Parlement provisoire, avait glissé dans le crispin d’un de ses gants. En se retournant, elle n’avait vu que son beau-père au coude à coude avec deux inconnus et qui, lui, ne s’était aperçu de rien. Le billet n’avait pourtant rien de rassurant :

« Prenez garde à n’accuser personne ! Songez à votre époux ! »

Son cœur s’était serré et elle avait dû prendre deux ou trois respirations profondes pour juguler le malaise et ne plus penser qu’à la malheureuse qui risquait courageusement sa vie afin d’obtenir que soit vengé un roi dont elle n’était pourtant que la plus humble des sujettes.

Après que le président de Harlay eut remercié la jeune femme de sa présence, le Procureur La Guesde prit la parole :

— Madame la baronne de Courcy, voulez-vous nous dire si vous connaissez la femme d’Escoman ici présente ?

— Connaître est un bien grand mot. Je l’ai rencontrée à plusieurs reprises chez la marquise de Verneuil dont elle était la dariolette...

— Et vous-même ? Que faisiez-vous chez cette dame ?

Le ton était sec avec un léger relent de mépris qui mit Lorenza sur ses gardes. Elle avait là un ennemi mais le combat ne lui faisait pas peur.

— J’étais son invitée, répondit-elle paisiblement.

— Veuillez me pardonner si je vous imite mais invitée n’est-il pas aussi un bien grand mot ? Il me semble que réfugiée ou...

La voix froide du Président trancha :

— Il suffit, Monsieur le Procureur ! Veuillez nous épargner des digressions hors de propos ! Nous sommes ici pour entendre Mme de Courcy au sujet de la femme d’Escoman, non ?

— Comme il vous plaira, Monsieur le Président ! (Il revint alors à Lorenza :) Quelles relations entreteniez-vous avec la D’Escoman ?

— Aucune sinon des saluts échangés, quelques mots sur le temps ou les fleurs du jardin... Le courant quand on se trouve sous le même toit !

— Rien qui touchât les activités de la maison, ou encore Mme de Verneuil elle-même ?

Elle eut pour lui un regard empreint d’une surprise incrédule.

— Je ne vois pas pourquoi. Ce n’est pas la coutume quand on est l’hôte de quelqu’un d’en discuter avec ses serviteurs. Mlle d’Escoman était toujours aimable, toujours souriante, toujours prête à rendre service. J’avoue que je la plaignais... et que je la plains encore !

— Pour quelle raison ?

— Regardez-la, Monsieur le Procureur ! Elle est petite, fragile et la vie ne l’a pas ménagée. Elle continue à ne pas la ménager d’ailleurs !

— A qui la faute ? Personne ne l’a obligée à se répandre en accusations insensées contre celle qui lui donnait de quoi vivre.

— Sinon peut-être sa conscience ?

Le mot avait échappé à Lorenza. Le soudain silence qui le souligna lui fit comprendre qu’elle s'aventurait sur un terrain glissant mais il n’y avait pas à y revenir. La Guesde s’en emparait déjà avec gourmandise.

— Sa conscience ? Est-ce à dire que vous lui donnez raison ?

— Je ne lui donne ni raison ni tort. Chacun est maître de ses convictions. Qu’elles soient justes ou erronées, c’est son affaire. Au reste, à Verneuil, je me tenais le plus souvent auprès de Mme d’Entragues, peu intéressée par les fluctuations de la politique, et qui s’occupe plutôt des bienfaits que l’on peut obtenir des plantes.

Il y eut un court silence. Le Procureur cherchait un autre point d’attaque et il le trouva.

— Vous est-il arrivé de voir Ravaillac chez Mme de Verneuil ? Vous savez qui il est, je pense ?

— L’assassin de notre bon Roi ! Je n’en sais rien du tout !

— Comment, vous n’en savez rien ? S’emporta La Guesde. Je crains que vous ne soyez en train de vous moquer du tribunal !

— En aucune façon, mais pour savoir si je l’ai réellement vu il faudrait que je sache à quoi il ressemblait.

— Mais tout le monde l’a vu ! Ne me dites pas que vous n’avez assisté ni au procès ni à l’exécution !

— Non, répondit-elle, glaciale, en le regardant droit dans les yeux. Je n’ai pas de ces curiosités malsaines ! Il me suffit de savoir qu’il a tué notre Roi... le voir découper en morceaux n’aurait en rien apaisé ma peine.

— Vous n'êtes pas née française pourtant ! Cette grande peine de la part d’une Florentine, n’est-ce pas excessif ?

Agacée, elle s’offrit le luxe de le railler.

— Que n'allez-vous en dire autant à Sa Majesté la Reine dont j'ai été la filleule ! Je me demande ce qu'elle vous répondrait ! Quant au Roi Henri, je l'aimais bien, parce qu'il a été bon pour moi ! En outre, Monsieur le Procureur, le mariage a fait de moi non seulement une Française mais aussi, mais surtout, une Courcy ! Chez nous, poursuivit-elle en appuyant sur le mot, la fidélité au Roi ne s’est jamais démentie et ne se démentira jamais ! Aussi, désormais, sommes-nous prêts à servir Louis XIII, notre jeune souverain.

— Bien parlé ! Lança dans l’assistance la voix du baron Hubert.

— Soit ! Admettons ! Mais nous nous éloignons de notre sujet. Si vous aviez si peu de relations avec la D’Escoman, comment se fait-il qu'à peine sortie de prison, avant la mort du Roi, elle vous ait rejointe sur le pont du Louvre pour faire appel à vous ? Que voulait-elle ?

— Que je l'introduise auprès de la Reine afin de la mettre au courant d’un complot contre la vie de son époux.

— Et que lui avez-vous répondu ?

— Que c’était impossible. Elle pensait qu’appartenant au cercle des dames de la Reine, je pouvais y amener...