— Cessez de dire des sottises et écoutez-moi ! Il y a de grandes chances pour que Marie vienne prochainement habiter la maison que nous possédons à Créteil. Ne m’en demandez pas davantage…

— Le Roi veut la revoir émit Sylvie sur le mode affirmatif. Elle doit être difficile à oublier.

— C’est un peu ça, mais apparemment ce n’est pas le cas de la Reine. Cela dit, laissez-moi finir : votre parrain, vous le verrez ces jours prochains, et aussi sans doute Mme de Vendôme chez qui je passerai demain avant de partir mais, pour cela et surtout pour assurer votre protection, vous devez demander à entrer en noviciat… Cela n’engage à rien et l’on en sort quand on veut sauf si l’on s’y attarde plus de deux ans, ajouta-t-elle devant le geste de protestation de Sylvie. Ainsi je m’en retournerai plus tranquille. Ce qui ne serait pas le cas si vous restiez simple pensionnaire… Acceptez-vous ?

— Je n’ai guère le choix, n’est-ce pas ?…

— Si. Vous pouvez sortir, dès maintenant, et vous rendre rue des Tournelles… avec toutes les conséquences possibles pour vous-même et ceux que vous aimez.

Sylvie ne répondit pas tout de suite. À ce moment, le chœur des religieuses attaqua un cantique d’Eustache du Caurroy qu’elle connaissait et, après une légère hésitation, elle se mit à chanter. Sa voix s’éleva soudain, si pure, si fraîche, que dans le chœur toutes les têtes se tournèrent vers elle tandis que, lentement, elle remontait la nef avec au fond du cœur une vibration qui ressemblait à de la joie. Elle venait de penser qu’au moins elle pourrait chanter autant qu’elle le voudrait.

Dès le lendemain, la mère Marie-Madeleine remettait à Mlle de Valaines la robe, la guimpe et le voile blancs. Une heure plus tard, Mme de La Flotte, soulagée d’un grand poids, reprenait le chemin du Vendômois en se demandant comment Marie accueillerait la lettre du Roi. Elle était capable de la déchirer sans même vouloir la lire.

Aussi fut-elle agréablement surprise quand l’Aurore, après une lecture qui ne posa aucun reflet sur son beau visage, replia le papier pour s’en éventer d’un air distrait avant de le glisser dans une poche de sa robe qu’elle tapota ensuite d’un air satisfait…

— Il va falloir que j’y réfléchisse ! Disons… jusqu’au printemps. Les voyages sont tellement plus agréables quand les pommiers refleurissent…

— N’est-ce pas trop user de la patience du Roi ? Il m’a semblé… désemparé.

— Se faire désirer n’a jamais nui à personne. Et puis rassurez-vous, grand-mère, je lui ferai tenir un message. Pour le moment je dois rester ici. L’ordre d’arrestation lancé contre le duc César révolutionne la région. Votre cousin du Bellay s’apprête même à mettre Vendôme en défense. Mais, au fait, le Roi ne vous en a-t-il rien dit ?

— Nous avions bien d’autres sujets à agiter et je vous avoue qu’étant donné votre situation actuelle je n’avais aucune envie d’ajouter à nos soucis le sujet toujours brûlant de César et de ses fils. Cependant, avant de rentrer, je suis passée à l’hôtel de Vendôme. La duchesse et sa fille n’ont aucune nouvelle et se font aussi petites que possible. Elles prient beaucoup mais ne sont pas à plaindre. L’évêque de Lisieux, l’abbé de Gondi, son oncle l’archevêque de Paris et même monsieur Vincent les entourent de leur sollicitude car, bien sûr, personne ne peut voir un vil empoisonneur dans le fils d’Henri le Grand. Je pense que tant de saintes influences devraient jouer en faveur des fuyards. Le Cardinal devra compter avec eux…

Un grattement à la porte l’interrompit. Jeannette, qui avait entendu l’arrivée du carrosse depuis la lingerie où elle aidait, venait timidement aux nouvelles.

Devant sa pauvre figure ravagée d’angoisse, Marie si distante eut un élan vers elle et passa un bras autour de ses épaules :

— Cesse de te tourmenter, Jeannette. Tout va bien. La Visitation compte une novice de plus et voilà tout !

— Une novice ? Mais elle n’a jamais voulu entendre parler de couvent et Mgr François a été bien cruel de l’y envoyer !

— Elle n’y restera pas, sois tranquille, mais dis-toi que nulle part elle ne sera mieux protégée. Et puis, elle va revoir son cher parrain qui viendra la visiter au parloir. Sans compter Mme de Vendôme et sa fille dès qu’elles oseront sortir de chez elles…

En fait, Marie était moins rassurée qu’elle voulait bien l’afficher. Elle aurait cent fois préféré que Sylvie reste avec elle. Paris et surtout le voisinage du Lieutenant civil lui semblaient inquiétants, même si une clôture assez haute pour faire reculer roi et cardinal s’interposait entre eux. Et l’affaire Vendôme n’arrangeait rien. Marie connaissait trop le caractère impulsif de Sylvie, capable de sauter le mur de son couvent pour aller se jeter aux pieds de la Reine, du Cardinal ou de n’importe qui au cas où les Vendôme seraient pris et où lui parviendrait le bruit d’une arrestation. Enfin !… il fallait espérer que rien de fâcheux ne se produirait d’ici un mois, date à laquelle on gagnerait la maison de Créteil.

Mais ce fut de Vendôme qu’arrivèrent les premières nouvelles, ô combien surprenantes ! Après avoir installé leur père en Angleterre où il trouvait toujours le meilleur accueil auprès de la reine Henriette sa demi-sœur, Mercœur et Beaufort venaient de rentrer au pays au terme d’un bref passage à Paris : juste le temps de se faire signifier un ordre d’exil sur leurs terres avec défense d’en bouger jusqu’à ce que soit instruit le procès de César. Rentrés en Vendômois, ils s’étaient séparés : tandis que l’aîné s’installait à Chenonceau, François choisissait de s’enfermer dans Vendôme où la population lui avait réservé un accueil enthousiaste.

Ce fut plus que n’en pouvaient supporter la curiosité et l’impatience de Marie. Après s’être fait préparer un bagage, léger mais suffisant tout de même pour contenir deux robes de rechange, elle sauta à cheval et, suivie de Jeannette remplaçant sa femme de chambre qui s’était brûlée avec un fer à repasser, et de deux piqueurs, elle prit la route de Vendôme.

Si elle pensait trouver François tournant à travers sa ville ou inspectant ses fortifications, elle fut déçue : M. le duc était au château où il recevait des amis. Au nombre desquels se trouvait apparemment Mme de Montbazon, car son carrosse armorié fut la première chose que vit Marie en pénétrant dans la cour d’honneur. Il était peu probable que le gouverneur de Paris eût accompagné son épouse, et l’humeur de la visiteuse en fut assombrie. Cet amour-là qui s’étalait avec tant d’impudeur prenait les allures d’une passion et lui déplaisait. Non pour elle-même ou pour la Reine qui semblait avoir d’autres chats à fouetter, mais pour Sylvie que François avait expédiée au couvent d’un simple claquement de doigts…

Elle faillit tourner bride mais, depuis qu’elle avait passé les portes de Vendôme, elle était annoncée et Beaufort en personne vint, avec un grand sourire, lui tenir l’étrier.

— Vous, mon amie ? Mais quel grand plaisir inattendu !

— Aussi inattendu que celui-là ? fit-elle mi-figue, mi-raisin en désignant la voiture tandis que François baisait son autre main.

— Non. Celui-là était attendu. J’ai ici quelques amis venus fêter avec moi notre retour chez nous. Certains arrivent d’Angleterre, mais comme je ne doute pas qu’ils comptent au nombre de vos nombreux admirateurs cette petite réunion n’en sera que plus agréable. Venez ! J’ai déjà donné ordre qu’on vous prépare un appartement.

Puis, soudain, s’avisant de la présence de la camériste de Sylvie :

— Jeannette ? Comment se fait-il ?

— Quand on entre au couvent, riposta Marie, on laisse ses serviteurs et jusqu’à ses habits à la porte.

Le sourire s’effaça du visage de Beaufort dont les sourcils se rejoignirent :

— Sylvie est au couvent ?

— À la Visitation Sainte-Marie. Vous l’y avez expédiée avec tant de désinvolture qu’elle n’a pas cru devoir vous refuser ce plaisir.

— Mais c’est insensé ! J’étais furieux de la voir hors de Belle-Isle mais je n’ai jamais voulu…

— Disons que vous faisiez bien semblant. Et elle vous a cru. Sans beaucoup d’enthousiasme, je dois le dire, mais au moins aura-t-elle le bonheur de retrouver au parloir le chevalier de Raguenel qu’elle aime profondément. En outre, je ne vois pas qui aurait le pouvoir de l’atteindre en un tel refuge… mais nous en parlerons plus tard ! J’aimerais me rafraîchir un peu.

— Bien sûr. Après tout, tant qu’elle ne prononce pas des vœux perpétuels…

— Ça, c’est affaire entre Dieu et elle, mais j’admire avec quelle aisance, mon cher duc, vous vous accommodez des petits problèmes que vous créez.

Beaufort n’ayant tout de même pas osé installer sa maîtresse dans l’appartement qui était celui de sa mère quand elle venait à Vendôme, ce fut Mlle de Hautefort qui en hérita avec quelque satisfaction, ce qui l’incita à une parfaite courtoisie quand elle se trouva en face de Mme de Montbazon. Les deux femmes possédaient d’ailleurs à un extrême degré ce ton de cour qui est d’un si grand secours dans les négociations diplomatiques. En outre, aucune antipathie personnelle ne les animait et, si Marie la brune était la maîtresse déclarée de François, Marie la blonde ne pouvait pas lui en faire grief. Tout se passa donc le mieux du monde.

En revanche, le reste des « amis » annoncés par Beaufort ne laissa pas de la surprendre par son côté hétéroclite : deux frères normands, Alexandre et Henri de Campion qui, jusqu’à sa mortelle victoire au combat de La Marfée, avaient servi le comte de Soissons, le père La Boulaye, confident de César, nouvellement nommé par lui prieur de la collégiale Saint-Georges enclose dans le château, le comte de Vaumorin dont Marie apprit bientôt qu’il servait de courrier entre Londres et Vendôme, tous ceux-là semblaient graviter autour d’un bien curieux personnage, un petit bossu noir de poil, Louis d’Astarac de Fontrailles, sénéchal d’Armagnac et surtout confident de Monsieur dont il représentait la pensée. Lui aussi arrivait de Londres où le retenait en principe un ordre d’exil. Enfin, un beau jeune homme que Marie connaissait bien pour l’avoir vu en maintes circonstances dans l’entourage de la Reine dont il était l’un des fervents, et qui avait plus ou moins remplacé Beaufort dans le rôle de chevalier servant. Il s’appelait François de Thou, de grande famille parlementaire, proche ami de Cinq-Mars qui l’appelait plaisamment « Son Inquiétude », esprit profond et sérieux que l’on pouvait s’étonner de trouver au milieu de ces foudres de guerre car il occupait le poste, nettement au-dessous de ses aptitudes, de bibliothécaire du Roi alors qu’il avait vaillamment combattu sous Arras. Entre tous, un lien commun : la haine de Richelieu dont ils avaient à se plaindre pour une raison ou pour une autre : Fontrailles parce qu’il avait un jour osé railler son infirmité, de Thou à cause de ce poste de rat de librairie qu’il jugeait ridicule, les autres pour des raisons diverses mais qui se rejoignaient dans leur dévouement à la maison de Vendôme. Mlle de Hautefort, naguère dame d’atour de la Reine frappée d’exil sans raison valable, reçut de ces hommes un accueil chaleureux dû au moins autant à son éclatante beauté qu’à son « malheur ».