Remettant à plus tard la solution du problème, il en revint à celui qui le hantait toujours : rejoindre la voiture et, au moins, apprendre où elle allait… Mais comment faire à présent, seul et à pied ?…
Il regarda autour de lui, reconnut la route qui, passant à travers les bois de Sainte-Assise, longeait le haut du coteau en direction de Nandy. Un peu plus loin ce devait être l’embranchement dont une tige allait sur Savigny-le-Temple mais, surtout, Seine-Port était tout proche… Seine-Port où, à l’auberge, Tim devait l’attendre comme il le lui avait demandé. Tim ! Cette force de la nature, le meilleur tireur sans doute de l’Ancien et du Nouveau Monde ! Avec lui, même la prise de la Bastille ne serait pas une entreprise impossible.
Récupérant ses armes et son chapeau qui avait roulé dans le fossé, Gilles se mit à courir pour rejoindre au plus tôt cet indispensable élément du salut de Judith. Une demi-heure plus tard, à peu près hors d’haleine, il tombait comme la foudre sur Tim Thocker qui dormait du sommeil du juste, étendu de tout son long sur le lit de Gilles à l’auberge de l’Ormeteau :
— Allons ! Réveille-toi ! Debout !… Vite ! Nous partons. J’ai besoin de toi… Mais réveille-toi donc, bon sang ! s’écria-t-il en le secouant si vigoureusement que Tim ouvrit un œil et lui sourit.
— Oh ! C’est toi !…
— Oui, c’est moi ! Je t’en prie, lève-toi vite ! il faut que nous partions tout de suite !
Le jeune Américain, qui avait peut-être arrosé un peu trop copieusement son repas, ne comprit pas grand-chose aux explications quelque peu embrouillées de son ami mais il venait de dire qu’il avait besoin de lui et cela suffisait. Tandis que Gilles bouclait ses sacoches et allait régler l’aubergiste, il se plongeait la tête dans un seau d’eau froide puis, encore tout trempé, se déclarait prêt à reprendre la route.
Comme il n’y avait plus qu’un cheval pour deux, on le chargea simplement des bagages et l’on alla prendre le bac pour traverser la Seine, car la seule chance pour Gilles de trouver une nouvelle monture était le maître de poste de Saint-Fargeau où, en effet, il put se remonter avec un soulagement intense.
— Où allons-nous, dit paisiblement Tim que son ami avait mis approximativement au courant de la situation durant le court voyage et qui ne s’en montrait pas autrement troublé.
— J’ignore quelle route aura choisie l’escorte. Cela peut être Juvisy ou Villeneuve-Saint-Georges. Allons toujours jusqu’à Corbeil et nous verrons bien…
Mais, à Corbeil, personne n’avait vu passer la voiture rouge de la prisonnière. Alors ils repartirent, empruntant le vieux pont pour repasser la Seine, plongèrent dans les épaisseurs de la forêt de Sénart, lancés comme deux limiers sur la trace d’une harde.
Ils la retrouvèrent, cette trace, à la croix de Villeroy où un forestier les renseigna ; oui il avait vu passer, environ une heure plus tôt, un carrosse fermé, gardé par une forte escorte. La calvacade s’était même arrêtée un moment à cause d’un des chevaux qui s’était déferré. Il avait prêté la main pour aider et, comme cette voiture si bien protégée l’intriguait, il avait demandé, histoire de plaisanter, s’il y avait là un trésor.
— Joli trésor ! oui, lui avait répondu l’un des soldats. Du gibier de potence ! Une meurtrière qu’on emmène à Vincennes…
— C’est quoi, Vincennes ? demanda Tim quand l’homme, après avoir touché son bonnet, eut regagné sa maisonnette.
— Un vieux château royal, une prison aux portes de Paris… La sœur jumelle de la Bastille ou presque… en plus redoutable peut-être…
Il répondait machinalement, réfléchissant en même temps. Une heure d’avance… c’était beaucoup… c’était trop ! La voiture et son escorte devaient atteindre Villeneuve-Saint-Georges en ce moment et eux, dont les chevaux n’avaient rien d’exceptionnel, ne les rejoindraient peut-être pas avant Vincennes, justement. Quelle chance aurait alors une attaque sous les murs même du vieux château ?
— Écoute, dit Tim, je ne connais rien aux habitudes de ce pays ni comment on s’y prend avec un roi ou une reine. On n’a pas tout ça chez nous… mais si j’ai bien compris ce que tu m’as raconté, ta reine, tu l’as sauvée, elle et ses gosses ?
— Oui, c’est à peu près ça…
— Bon. Alors, en échange de ce beau service, on va te tuer ta femme parce qu’elle lui a crié des injures en promenant une chandelle contre le bois de son bateau ?
— … avec l’intention de faire exploser ce bateau parce qu’elle ignorait qu’il était désamorcé. Dans un cas pareil, c’est l’intention qui compte. Judith voulait tuer… en outre, la reine ignore qu’elle est ma femme.
— Eh bien, il faut aller le lui dire, tout simplement ! conclut Tim avec tranquillité et il ajouta : Ta femme te croit mort et mort à cause de cette reine. Si ça ne lui paraît pas des excuses suffisantes, c’est qu’à ce service-là tu perds ton temps, ta santé, tes forces et ton intelligence. C’est trop ! Alors ? On y va ?
Comme tout paraissait tout à coup simple, et clair, en passant par la saine logique de Tim. C’était cela bien sûr, la solution : la reine principale intéressée pouvait, devait pardonner. Elle seule, en tout cas, avait le pouvoir de libérer Judith.
— Aujourd’hui, ce n’est pas possible, dit-il enfin. Elle n’arrivera à Fontainebleau que demain soir. Mais, en attendant, nous allons nous mettre à la recherche de quelqu’un qui saura, mieux que quiconque, la disposer à m’entendre…
Il haïssait l’idée de réclamer un paiement, quel qu’il soit, en contrepartie d’un service rendu, d’autant que ce service n’était rien d’autre, à ses yeux, qu’un simple devoir. Mais il n’avait pas le choix et, pour sauver Judith, il se savait prêt à toutes les exigences, à tous les chantages… Aussi la première chose à faire était-elle de retrouver Axel de Fersen. Il aurait même dû commencer par là s’il n’avait eu ce coup de folie, cette fureur aveugle du mâle dont la femelle est en danger et qui ne raisonne plus.
Que le Suédois ne fît pas partie de la suite de la reine ne faisait aucun doute. Peut-être même se cachait-il plus ou moins car, lorsqu’ils s’étaient quittés, à l’aube sur le chemin de halage, il avait désigné au chevalier les toits d’une petite maison derrière les arbres et il était très possible qu’il y soit encore… Si tout cela, ce voyage incroyablement paresseux, cette gondole d’un autre âge, et jusqu’à ce retour inattendu de Fersen1, n’avait été voulu qu’en vue de cette seule nuit… et si elle avait été, cette nuit, ce qu’il en avait espéré, il y avait une chance pour que le romantique Suédois, tel que Tournemine le connaissait, eût préféré revenir en revivre chaque instant dans la maison du bord de l’eau plutôt que se mêler au tohu-bohu des fêtes qui attendaient la reine à Melun.
En conclusion de quoi, Gilles et Tim reprirent, en gens pressés, le chemin de Corbeil.
La nuit était tombée quand ils atteignirent le faubourg de Saint-Germain… et se séparèrent. Tim s’en alla préparer leur logement à l’auberge du Pont tandis que Gilles se dirigeait seul vers le chemin de halage. Ce qu’il serait peut-être amené à faire entendre à Fersen ne pouvait l’être devant aucun témoin, ce témoin fût-il le bon Tim Thocker qui parlait mal le français mais le comprenait assez bien… et qui était tout de même un agent du gouvernement américain. D’ailleurs, puisqu’il ne s’agissait que de causer, celui-ci ne voyait que des avantages à s’en aller préparer pour eux deux le souper et le coucher.
Gilles n’eut aucune peine à retrouver la maison, bien que la nuit fût noire et la lune pas encore levée, grâce à certain bouquet de trois ormes qu’il avait repéré au lever du jour. C’était, sous un grand toit en pente, une construction à un seul étage avec des fenêtres assez hautes présentement habillées de leurs volets de bois. Mais on pouvait apercevoir un peu de lumière filtrant par les fentes de ces volets. Il y avait donc quelqu’un. Restait seulement à savoir si ce quelqu’un était bien Fersen.
Afin de s’en assurer sans déranger personne, Gilles choisit d’escalader le mur grâce au lierre, certainement centenaire, qui le couvrait d’un épais manteau. De là-haut il découvrit un jardin plein d’herbes folles au milieu desquelles il se laissa tomber sans autre bruit qu’un léger froissement. Un instant il y demeura accroupi, guettant si sa chute avait attiré l’attention de quelqu’un mais rien ne vint, que le cri désagréable d’un engoulevent qui devait nicher dans l’un des grands arbres auxquels s’adossait la maison.
À grandes enjambées, il marcha vers elle, s’approcha de l’une des fenêtres éclairées, colla son œil à la fente d’un volet et s’accorda un sourire de satisfaction : le Suédois était bien là. Assis à un petit bureau à la lumière de trois bougies plantées dans un chandelier d’argent, il écrivait une lettre qui devait être passionnante si l’on en jugeait l’ardeur inhabituelle qui colorait son visage pâle et le sourire plein de tendresse qu’il adressait de temps en temps à son papier tandis que la plume courait sans hésiter sur la feuille blanche.
Sans plus attendre, Gilles frappa, du poing, plusieurs coups au volet. Il put voir Fersen tressaillir, se tourner, sourcils froncés vers la fenêtre mais sans lâcher sa plume et sans quitter sa chaise. Alors, il frappa plus fort.
— Ouvre ! dit-il en s’efforçant de ne donner que juste ce qu’il fallait de voix. C’est moi, Gilles !
Cette fois le Suédois bondit et le chevalier n’eut que le temps de reculer pour ne pas recevoir le volet dans la figure. La lumière de l’intérieur l’éclaira presque entièrement.
— Excuse-moi ! dit-il. Tu m’avais dit, ce matin, que cette maison était la tienne et comme il fallait à tout prix que je te parle, je me suis permis de venir frapper à ta fenêtre.
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