Le cortège d’Henriette-Marie poursuivait son chemin sous des nuages qui n’annonçaient rien de bon. Par Abbeville et Montreuil on gagna Boulogne, cette fois sous une pluie battante charriée par un vent qui se renforçait d’instant en instant. Depuis Montreuil on avait pu voir que la mer était démontée et personne ne fut surpris en constatant qu’aucun des navires anglais chargés de transporter la nouvelle reine et sa suite ne se trouvait dans le port. Tout le monde en fut enchanté : après une fin de voyage aussi pénible, l’idée d’embarquer sur-le-champ ne souriait à personne. Surtout pas à Marie, très contrariée du retentissant échec du joli roman dont elle avait si soigneusement mis au point la scène maîtresse. Avec son franc-parler, elle n’avait pas caché au malencontreux « Steenie » ce qu’elle en pensait :
— On n’a pas idée d’être d’une telle maladresse ! Ne vous avais-je pas recommandé la retenue ? Vous vous êtes conduit comme un soudard vis-à-vis d’une femme, non seulement mal mariée, mais imprégnée d’idées romanesques, d’amours chevaleresques et que sais-je encore ? Même son époux qui n’est pas un chef-d’œuvre de délicatesse ne l’a jamais traitée ainsi !
— Je sais, mon amie, je sais ! Avouez cependant qu’elle m’y a encouragé ! Et je suis un homme, que diable ! Pouvais-je imaginer que ses beaux yeux noyés, ses lèvres tremblantes n’étaient pas autant d’appels à d’autres caresses ? Et nous avions si peu de temps ! Si seulement je pouvais la revoir, lui expliquer…
Le Diable apparemment était pour lui car on vit au matin accoster une chaloupe montée par de hardis marins qui, en dépit du mauvais temps, apportaient du courrier pour la Cour. Marie et Holland sautèrent sur cette occasion inespérée : ils conseillèrent à Buckingham d’aller lui-même porter les dépêches à la Reine-mère, seule habilitée à recevoir des nouvelles d’Angleterre.
Ils avaient à peine fini leur discours que le Duc était en selle et galopait en direction d’Amiens. Là, il se fit annoncer chez Marie de Médicis.
Celle-ci encore mal remise gardait le lit mais elle ne l’en reçut pas moins, prit les lettres, l’en remercia et l’écouta d’une oreille bénigne quand il lui exprima son désir d’être reçu par sa belle-fille aux pieds de laquelle il souhaitait s’humilier. Le propos lui semblant d’autant plus louable qu’elle cultivait, pour sa part, un faible pour le beau ministre, elle lui conseilla de s’y rendre sur-le-champ.
Anne d’Autriche qui s’était fait saigner le matin gardait le lit elle aussi, dolente de sa récente aventure. Quand elle sut que son amoureux demandait audience, elle s’exclama :
— Encore revenu ? Je pensais que nous en étions délivrés !
Et chargea sa dame d’honneur, Mme de Lannoy, de dire qu’elle ne recevait pas. Celle-ci s’acquitta de la commission avec un maximum de raideur :
— Il ne plairait pas au Roi, expliqua-t-elle au duc, que la Reine permît l’entrée de sa chambre à des hommes dans le temps où elle est au lit !
Et Buckingham retourna chez Marie de Médicis, l’implorant avec tant d’insistance qu’elle finit par répondre :
— Pourquoi donc ? Je le fais bien moi-même.
Il fallut évidemment que Mme de Lannoy en passe par cette espèce de consensus, mais elle prit ses précautions : lorsque le Duc fut introduit la chambre était pleine de monde et deux princesses du sang, Mmes de Condé et de Conti, étaient assises au chevet de la Reine. Buckingham s’approcha du lit, se mit à genoux, prit la main d’Anne… et éclata en sanglots. Mme de Lannoy se précipita :
— Il n’est pas d’usage à la cour de France de parler à genoux à la Reine. Veuillez vous asseoir !
Et lui fit donner un siège. Qu’il refusa avec colère :
— N’étant pas français je n’ai pas à observer les lois de ce pays. Veuillez me laisser en paix !
Et il voulut se lancer dans un plaidoyer qui eut le don d’irriter Anne. Après lui avoir arraché sa main, elle resta de glace, ne l’honorant même pas d’un regard. Ce que voyant, Mme de Conti pria courtoisement Sa Grâce de ne pas insister afin de ne pas incommoder Sa Majesté qui était souffrante et avait besoin de repos.
— De repos ? Vraiment ? Et au milieu de cette foule ! gronda l’Anglais furieux. Rassurez-vous, madame, je pars mais vous apprendrez que l’on ne se moque pas de moi impunément.
— Nul ne songerait à se moquer de vous, Mylord, si vous consentiez à agir de façon sensée, riposta la Princesse. C’est manquer de respect à une souveraine que l’importuner.
Il lui lança un coup d’œil exaspéré, recoiffa son chapeau et sortit en bousculant les laquais et en annonçant qu’il reviendrait…
Quelques heures plus tard, Mme de Chevreuse, assez inquiète tout de même, apprit de quelle façon il entendait revenir si on ne lui faisait pas meilleur accueil : par la force des armes !
DEUXIÈME PARTIE
L’ÉCHAFAUD DE NANTES
CHAPITRE VII
DEUX FERRETS DE DIAMANTS
La mer ayant enfin consenti à se calmer, la flotte anglaise put jeter l’ancre devant Boulogne et, le 22 juin à midi Henriette-Marie et sa suite embarquaient à bord du Prince, l’un des plus grands navires qui eussent jamais été construits. L’un des plus luxueux aussi puisqu’il offrait trois salles de plain-pied tendues de tapisseries de haute lice rehaussées d’or dont le capitaine Phinéas Pett fit les honneurs à sa jeune reine et à son imposante suite française : outre les Chevreuse et l’ambassadeur de France à Londres, le comte Le Veneur de Tillières et sa femme, il y avait l’évêque de Mende, Mgr de La Mothe-Houdancourt, chapelain de la Reine… et cousin de Richelieu, qu’il allait tenir fidèlement au courant de tout ce qui se passerait à Londres, la comtesse de Saint Georges[18] et la comtesse de Sipierre, le comte d’Effiat plus une quarantaine d’ecclésiastiques, secrétaires, gentilshommes, écuyers, valets, médecins et musiciens – comme sa mère, Henriette-Marie adorait la musique –, et une bonne dizaine de femmes de chambre. Presque personne ne parlait anglais, cela allait donner pas mal de fil à retordre à sir Toby Matthew, traducteur officiel. Mais les proches étaient sans conteste Mmes de Chevreuse et de Saint Georges.
Devinant son inquiétude – inavouée par fierté –, Marie s’attachait à la petite reine qu’elle connaissait bien. Elle et Holland s’étaient appliqués, depuis le début des pourparlers, à lui tracer un portrait assez séduisant de son futur époux, cependant que par lettres, Henry en faisait autant pour Charles Ier. Il fallait que ce mariage-là fût réussi même si Buckingham, ulcéré, montrait déjà une certaine mauvaise volonté envers Henriette-Marie.
Le Prince rallia Douvres en une dizaine d’heures. La Manche s’était montrée relativement accommodante et personne ne fût malade, même pas Marie que sa grossesse n’incommodait en rien et qui se montrait au contraire plus pétulante que jamais.
L’accueil de Douvres où entrait une solide dose de curiosité fut plutôt chaleureux. Le sourire d’Henriette-Marie, sa jeunesse et ses grands yeux lui ouvraient facilement les cœurs. Elle descendit du vaisseau sur un « pont mobile artificiel », prit place dans une litière qui la mena au château en compagnie de Mmes de Chevreuse et de Saint Georges. La vue dudit château rappela quelque chose à Marie : si la nuit de noces devait se dérouler dans ce monument médiéval, elle ne serait certainement pas plus agréable que sa première nuit à Chevreuse, l’endroit étant lugubre et le mobilier antique. Néanmoins elle se rassura en constatant que Charles Ier n’y était pas et comme elle interrogeait Holland, celui-ci lui apprit que Marie de Médicis, agissant en cela en bonne mère, avait obtenu de son gendre que la jeune fille pût disposer de sa première nuit sur le sol anglais pour se reposer d’une traversée qui, même au milieu du luxe, était toujours éprouvante.
Cependant le roi anglais brûlait de rencontrer son épouse. Il se trouvait à Cantorbéry et, le matin venu, sauta en selle pour accourir à Douvres où il tomba au milieu du petit déjeuner de la mariée. Ravie de cette hâte Henriette-Marie, mettant de côté la gravité qu’elle s’efforçait d’observer, courut au-devant de lui, dégringolant les escaliers pour venir mettre genou en terre à ses pieds et baiser sa main. Enchanté il la releva, la prit dans ses bras et l’embrassa à plusieurs reprises avec un certain enthousiasme puis il écouta en souriant le charmant discours qu’elle avait préparé pour lui. Et que, soudain, elle interrompit pour éclater en sanglots, persuadée qu’il l’examinait et s’étonnait de sa petite taille. Charles s’efforça de la consoler mais elle tenait à mettre les choses au point et relevant un peu sa jupe de brocart, elle lui montra ses souliers qu’aucun artifice ne surélevait :
— Voilà, Sire ! Je me tiens sur mes propres pieds. Ainsi grande suis-je, ni plus ni moins !
— Lord Holland m’avait écrit que vous étiez exquise : il ne m’a pas menti…
On se disposa à quitter Douvres pour Cantorbéry où Henriette-Marie vivrait sa nuit de noces. A cet instant se place un incident que Marie jugea désagréable. Il eût été normal que Mme de Saint Georges et elle-même qui avaient la Princesse en charge, prissent place dans le carrosse royal, mais le Roi s’y opposa : c’étaient des dames anglaises qui devaient à présent accompagner son épouse, et en dépit de ses prières, on fit monter la mère – insupportable – de Buckingham, sa femme – beaucoup plus agréable – et la comtesse d’Arundel. Les deux Françaises eurent cependant leur revanche le soir même en conduisant la nouvelle reine à la chambre nuptiale où Mme de Chevreuse eut le privilège de lui donner sa chemise… et de la réconforter au seuil de cette nuit avec un inconnu toujours redoutée des princesses quand venait le moment de les marier.
"Marie des intrigues" отзывы
Отзывы читателей о книге "Marie des intrigues". Читайте комментарии и мнения людей о произведении.
Понравилась книга? Поделитесь впечатлениями - оставьте Ваш отзыв и расскажите о книге "Marie des intrigues" друзьям в соцсетях.