Le premier choc passé, Hohenlohe installe aussitôt plusieurs batteries pour lui répondre mais poursuit tout de même sa progression vers les hauteurs de La Lune où il tombe sur le général de Valence envoyé par Kellermann, installé dans un creux près de Dommartin. A nouveau les canons tonnent et les boulets " pleuvent furieusement sans que l'on puisse comprendre d'où ils venaient ". C'est du moins ce que racontera plus tard un conseiller à la cour de Weimar qui accompagne Hohenlohe et se nomme Goethe...
Cependant, et tandis que Hohenlohe s'accroche à La Lune, Valence qui est en contrebas doit céder et se replier. En fait, la confusion est extrême, chacun ne sachant plus très bien de quel côté il doit tirer. Si bien que Desprez-Crassier cesse le feu.
De son côté, Kellermann, qui vient d'être alerté, s'est souvenu du conseil donné par Dumouriez en cas d'attaque inattendue : occuper au plus vite le petit plateau de Valmy à une demi-lieue de ses positions. Il y envoie aussitôt le jeune duc de Chartres [ix], dix-neuf ans, qui à la tête d'un détachement de son 14e dragons occupe les lieux. Lui-même va rejoindre avec le gros de ses troupes, tandis que Valence protège au sud la route de Châlons à Sainte-Menehould.
Toute la matinée se passe en mouvements divers qui vont permettre aux deux armées de se mettre en position face à face de part et d'autre d'un ravin que dominent, d'un côté, les ailes du moulin de Valmy. Le tout à travers des bandes de brouillard et de pluie fine qui semblent installés là pour l'éternité. Laura, elle aussi, se demande si elle ne va pas rester dans cette grange toute sa vie. On l'y a laissée avec la voiture sous la garde de Biret-Tissot, d'un feldwebel et de quatre soldats commis à sa sécurité en attendant d'être conduite, en fin de journée, à l'endroit où le roi et le duc ont décidé d'établir leur cantonnement pour la nuit suivante : un gros village et un grand château se trouvant à environ deux lieues, où leurs fourriers doivent déjà être en train de préparer leurs quartiers. Batz et son " secrétaire " Pitou ont été invités à suivre le duc de Brunswick et sont partis à cheval avec l'état-major des princes.
Jamais sans doute journée n'aura paru plus longue à la jeune femme. Lorsque Batz l'a quittée, elle n'a pas osé lui demander dans quelle maison était établie l'infirmerie où l'on avait emporté Josse et s'en est par la suite félicitée, en pensant qu'une infirmerie militaire est faite pour suivre les armées en campagne, que peut-être Josse aura été évacué pour rejoindre celle des émigrés qui ne doit plus être loin et que, d'ailleurs, ses chiens de garde, ne lui auraient pas permis d'aller se promener seule dans le village... Elle est donc restée là, à se morfondre, avec pour seule distraction l'écho d'une canonnade qui ne devait pas cesser de la journée.
A midi, cependant, tout était en place pour l'une de ces grandes scènes de l'Histoire. La pluie subitement s'est arrêtée et, chose impensable une heure plus tôt, un rayon de soleil a percé les nuages. Ce qu'il éclaire ne manque pas de grandeur. Sur l'étroit plateau de Valmy, les seize mille hommes de Kellermann sont rangés en deux lignes protégées par trente-six pièces de canons. La cavalerie, elle, se tient à l'extrême bord du plateau... Il n'y a là, évidemment, qu'une partie de l'armée française. Les troupes de Dumouriez aux ordres de Beurnon-ville, de Miranda et de Le Veneur de Carrouges, qui doivent intercepter les Autrichiens, forment un grand arc de cercle étalé sur plus d'une lieue et qui, derrière Valmy, barre l'accès aux sombres forêts de l'Argonne.
De l'autre côté du ravin, à une demi-lieue [x] seulement, l'armée prussienne est rangée en bataille sur le plateau de Magneux : quarante-quatre mille hommes et cinquante-quatre pièces de canons, mais ce sont des canons lourds, beaucoup moins maniables que ceux de l'artillerie française dus au génie du marquis de Gribeauval [xi]. Des canons qui se taisent pour l'instant comme se taisent ceux d'en face. Entre les deux armées règne ce grand silence qui précède les batailles, où chacun est conscient que la mort le guette au bout du chemin et se recueille. Même ceux qui ne croient pas en Dieu, et ils sont rares...
Personne ne prend l'offensive. Là-haut, sur leur plateau, le roi de Prusse reste silencieux et Brunswick semble hésiter à donner l'ordre. Sa lunette à la main, il regarde le ravin qui le sépare du plateau d'en face et qui n'a pas été exploré. Cette hésitation, Batz la ressent dans toutes les fibres de son corps. Il voudrait tant savoir ce qui s'est passé au camp prussien la veille de son arrivée... Le duc va-t-il renoncer à attaquer?
Cependant, les canons prussiens ont tiré les premiers et aussitôt ceux d'en face ont répondu. C'est de part et d'autre du ravin un feu nourri et, enfin, Brunswick vient de se décider. Sur son ordre, l'infanterie qui pour le combat a retrouvé sa fière allure habituelle, en dépit de la boue et de la maladie, s'est rangée en deux colonnes comportant chacune six régiments. La manouvre est superbe : les hommes s'alignent comme à la parade. En face, entouré de son état-major, Kellermann a formé luimême trois colonnes. Moins homogènes sans doute : les anciens de l'armée royale sont mélangés à de jeunes recrues sans expérience. Aussi l'ordre qu'il donne tient-il compte de cela :
- Personne ne tire ! Quand les Prussiens arriveront, nous les chargerons à la baïonnette.
De l'autre côté, l'ordre est enfin donné et les régiments avancent d'un pas pesant et régulier tandis que les canons tonnent sans arrêt. Alors, soudain Kellermann ôte son chapeau empanaché, le plante à la pointe de son épée et, debout sur ses étriers, hurle : " Vive la Nation ! " Aussitôt, seize mille voix reprennent en écho formidable " Vive la Nation ! " avec un enthousiasme qui fait frissonner Batz parce que c'est le cri d'un peuple qui défend sa terre.
A présent, les canons français tirent dans cette masse humaine où des trous apparaissent sans arrêter la puissante machine de guerre. Elle a déjà parcouru la moitié du chemin quand Brunswick donne un ordre stupéfiant et les hommes se figent sous les boulets qui continuent de pleuvoir. Soudain, Frédéric-Guillaume lance son cheval devant ses premières lignes, avec un superbe mépris du danger, caracole sur leur front comme s'il les passait en revue. Il s'arrête même, impassible sous le feu de l'ennemi, comme là-haut Kellermann sous celui des canons prussiens qui ont fait du moulin de Valmy leur point de mire. Le Français aussi est immobile. Son cheval a été tué sous lui. Il se contente de se dégager et d'en demander un autre : le futur duc de Valmy n'a de leçon de courage à recevoir de personne !
A deux heures cependant, un obus prussien fit sauter trois caissons d'artillerie. Celle-ci cesse de tirer tandis que s'installe une certaine confusion. Batz entend le colonel von Massenbach dire à son chef :
- Reprenez l'attaque, Monseigneur, ils sont déjà vaincus.
- Ne croyez pas cela. Regardez plutôt !
Près du moulin, le duc de Chartres vient d'amener de nouvelles batteries légères et le feu reprend plus nourri que jamais.
- Nous ne les battrons pas ici, soupire enfin Brunswick au désespoir de Batz, sûr à présent que quelque chose s'est passé. Un instant on peut croire que l'assaut va reprendre, mais Brunswick se contente de renforcer sa position sur la hauteur de la Lune et sur la route de Châlons.
A six heures, les nuages noirs sont revenus et déversent une pluie rageuse. Les canons se taisent enfin. La bataille de Valmy qui n'a pas vraiment commencé est déjà finie. Les Français ont tiré vingt mille coups de canon. Le chiffre de leurs morts et de leurs blessés se monte à trois cents. Les Prussiens un peu moins, mais leur invincible infanterie n'a même pas vu de près l'armée des " va-nu-pieds " qui l'attendait en chantant!...
Tandis que les Prussiens bivouaquaient sur place, les Français, délaissant le moulin incendié, profitèrent de la nuit qui venait pour aller occuper de meilleures positions d'où ils pourraient récupérer la route de Paris. Frédéric-Guillaume II, Brunswick et leur état-major se dirigèrent vers leur nouveau cantonnement : le château de Hans, à peu de distance du champ de bataille où leurs quartiers devaient être préparés.
Il fallait à Aglaé-Rosalie de Ségur, comtesse de Dampierre et baronne de Hans, une grande force d'âme pour résister aux catastrophes qui s'abattaient sur elle et sur sa demeure depuis que la Révolution faisait entendre ses clameurs à tous les horizons de France. Pourtant, elle et les siens avaient échappé à la Grande Peur qui avait déterminé les premières fuites vers l'étranger, et cela en dépit d'un procès perdu par la commune de Hans-le-Grand au sujet de terres sur le mont Yvron que le comte de Dampierre lui contestait. Ensuite, elle s'était retrouvée veuve à trente ans avec deux enfants, Philippe-Henri, cinq ans, et sa petite sour Marie, trois ans. Et dans quelles conditions abominables! Victime de sa fidélité au Roi, le comte Anne-Eléazar de Dampierre, ayant appris l'arrestation de la famille royale à Varennes - si proche ! -, avait tenu à honneur d'aller saluer son roi captif sur le chemin en forme de calvaire qui le ramenait à Paris. Par trois fois, le noble cavalier était reparu aux portières de la lourde berline ; par trois fois, il avait salué profondément, plié en deux sur sa selle, maintenant son cheval à la force des genoux, mais il n'y eut pas de quatrième. Certains énergumènes avaient vu là une bravade. On lui tendit une embuscade et, à coups de bâton et de fourche, on le massacra. Son épouse ne connut que plus tard son sort cruel. Des personnes dévouées avaient purecueillir son corps méconnaissable et n'osant le ramener à Hans, l'avaient enterré dans le cimetière de Chaude-Fontaine, sur les lieux du crime ou presque... Il n'avait que quarante-six ans!
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