Milly détacha ses cheveux et regarda Agatha.
– D'accord, je vous donne cinq jours, mais à une seule condition.
– Je n'ai pas l'impression que tu sois en mesure de m'imposer des conditions, mais je t'écoute quand même.
– Vous me dites toute la vérité, ce que vous faites là, et pourquoi vous voulez vous rendre à San Francisco avec ce revolver. Parce que si c'est pour aller buter quelqu'un, vous avez intérêt à me convaincre que c'est le pire des salauds, si vous voulez que je vous conduise jusqu'à lui.
Agatha la regarda, interloquée.
– Je crois qu'on va bien s'entendre, toi et moi ! dit-elle dans un grand éclat de rire.
*
Tom traversa un quartier résidentiel. Le long des rues, bordées de cerisiers en fleur et de jardins nourris, s'élevaient d'élégantes maisons à deux ou trois étages.
Il se rangea sur Merwood Lane et attendit tous feux éteints.
Alors que le soir avançait, il eut une pensée pour ses loups. Profitaient-ils de son absence pour rôder près de son cabanon ?
– Cinq ans, tu ne pouvais pas patienter ? Pourquoi maintenant ? Et qu'est-ce que tu cherches ? grommela-t-il.
Un rideau se souleva derrière l'une des fenêtres qu'il surveillait et il ressentit une appréhension en croyant apercevoir une ombre familière. Il avait foncé sans réfléchir, poussé par le devoir, mais était-il prêt à croiser son regard, à entendre sa voix ? Et que ferait-il si elle se cachait là ?
Vers 22 heures, l'une des deux portes du garage qui jouxtait la demeure s'ouvrit. Un homme apparut, un sac-poubelle à la main qu'il alla jeter dans un container au fond du jardin. Tom s'approcha de lui. L'homme perçut sa présence et se retourna.
– Je peux faire quelque chose pour vous ? lui demanda-t-il.
– Je l'espère, répondit Tom en présentant son insigne. J'ai deux questions à vous poser.
– Il est un peu tard, vous ne trouvez pas ?
– Je peux revenir demain avec un mandat, si vous préférez.
– Un mandat de quoi ?
– De perquisitionner votre domicile, votre bureau, éplucher vos comptes en banque.
– Et pour quelles raisons obtiendrez-vous un tel mandat ?
– Complicité d'évasion d'un prisonnier fédéral, monsieur Pyzer, ou dois-je vous appeler Reiner puisque c'était votre nom de famille avant que vous n'en changiez ? Je suis marshal, vous avocat, vous savez que les juges sont bien disposés à notre égard.
– Je ne suis pas pénaliste et je ne vois pas à quoi vous faites allusion.
Tom lui montra la photo d'Agatha, Max l'examina sans sourciller.
– Elle s'est évadée ?
– J'espère que vous êtes plus convaincant lorsque vous plaidez.
– Comme vous le voyez, je me débrouille plutôt pas mal, répliqua Max.
– Justement, vous avez une belle vie, que vous partagez avec une belle femme, ce serait stupide de vous retrouver derrière des barreaux pour avoir menti à un officier fédéral.
Max fusilla Tom d'un regard qui en disait long sur ce qu'il pensait de lui.
– Revenez demain avec votre mandat, je n'ai rien à cacher, vous ne m'intimidez pas.
Il laissa Tom en plan et s'éloigna.
– Vous êtes allé la voir combien de fois en prison ? cria Tom dans son dos.
Max s'arrêta et se retourna.
– Réfléchissez bien à votre réponse, demain j'aurai en main la liste des visites qu'elle a reçues.
– Vous ne m'y trouverez pas, j'ai changé de vie en même temps que de nom, tout cela appartient au passé.
– Les enregistrements vidéo du parloir prouveront peut-être le contraire, lâcha Tom. Je connais votre passé commun, ne me donnez pas l'envie d'aller fouiller trop loin. Il n'y a pas de prescription en ce qui vous concerne.
– Pourquoi est-ce que votre visage me dit quelque chose ? questionna Max en faisant un pas vers Tom.
– Parce que je ressemble à monsieur Tout-le-Monde, c'est le drame de ma vie, beaucoup de gens croient me connaître alors que je ne connais personne.
– Vous voulez la vérité ? reprit Max. J'ignorais totalement qu'elle s'était fait la belle. L'expression que j'ai empruntée quand vous me l'avez appris était destinée à masquer ma joie. C'est la meilleure nouvelle que j'ai entendue depuis longtemps ! Si je savais quoi que ce soit à son sujet, je ne vous en dirais rien. Oui, je suis allé la voir et qu'est-ce que ça prouve ? J'espère de tout mon cœur qu'elle vous filera entre les pattes. Vous vouliez que je sois honnête, je l'ai été on ne peut plus, maintenant fichez le camp de ma pelouse, allez où bon vous semble, moi, je vais me coucher, ma femme m'attend en effet. Bonne nuit, officier.
Max s'éloigna, la porte du garage se referma derrière lui.
Tom remonta à bord de son véhicule, tracassé. Il avait perçu un indice dont la nature lui échappait encore.
Il s'offrit un dîner dans un restaurant de bord de route, passa une heure dans sa voiture à compulser, sur le terminal informatique, les données concernant Max contenues dans les fichiers fédéraux. Ne trouvant rien de concluant, il inclina le dossier du fauteuil et chercha le sommeil.
Vers 2 heures du matin, réveillé par le passage d'un camion, il ouvrit grand les yeux et le détail qui lui avait échappé jusque-là lui apparut enfin.
Il reprit le volant et alla finir sa nuit sur Merwood Lane.
*
Elles enchaînaient les miles et ne se parlaient presque pas, chacune semblant perdue dans ses pensées. De temps à autre, Agatha se contentait d'indiquer à Milly l'itinéraire.
– J'ai faim, dit Milly, et je ne suis pas la seule.
Agatha jeta un œil à la jauge.
– Nous avons encore le temps.
– L'aiguille n'est pas très fiable, et puis quand le réservoir se vide, les gaz d'essence fatiguent le métal. Je refais le plein chaque jour pour éviter ça.
– Je n'avais jamais entendu quelqu'un de ton âge s'inquiéter de fatiguer du métal. Trouvons une station-service.
Quand elles croisèrent la première, Agatha la regarda passer en s'étonnant que Milly ne s'y arrête. Dix miles plus loin, elle fit halte à une station 7-Eleven.
Pendant que Milly s'affairait à la pompe, Agatha emporta la clé de contact et alla régler le plein dans la supérette.
Elle revint avec un grand sac en papier dans les bras. Milly l'attendait au volant.
– Ce n'était pas la peine.
– Je croyais que tu étais affamée ?
– Je parlais de confisquer la clé, répondit-elle en agitant un trousseau où se trouvait un double. Je vous ai dit que je vous accompagnerais, j'ai tenu ma promesse, à vous de tenir la vôtre.
– Je ne t'ai rien promis, et puis c'est une longue histoire.
– Nous avons quelques jours devant nous, les conversations sur le temps qu'il fait n'ont pas grand intérêt. J'ai bien compris que vous aviez un itinéraire précis.
– Je ne t'ai pas menti en te parlant de mes amis, sauf qu'ils ne vivent pas tous à San Francisco, et que je ne sais plus vraiment s'ils sont toujours mes amis, mais je voudrais leur rendre visite.
– Avec un revolver ? demanda Milly.
Agatha prit l'arme et la rangea dans la boîte à gants.
– Voilà, tu vois, je te fais confiance, enfin, j'essaye.
– Vous ne pouviez pas vous louer une voiture ?
– Je n'ai pas renouvelé mon permis depuis longtemps. Tu poses trop de questions. Roule, et trouve-nous un endroit plus agréable pour manger ces sandwichs. Tu aimes la dinde, j'espère ?
Au paysage suburbain succéda une campagne où n'apparaissaient plus que quelques hameaux. L'Oldsmobile grimpa à une colline. Arrivée au sommet, Milly bifurqua sur une route secondaire et s'arrêta le long d'une voie de chemin de fer désaffectée. Elle coupa le moteur, sortit de la voiture et suivit les rails jusqu'à un vieux pont qui surplombait la vallée.
Agatha emporta le sac et la rejoignit. Milly s'était assise à un endroit où le garde-corps avait disparu. Jambes ballantes dans le vide, elle prit le sandwich que lui tendait Agatha et l'attaqua avec appétit.
– Demain, il faudra que je téléphone à Frank, et à Mme Berlington pour m'excuser, dit-elle la bouche pleine.
– Qu'est-ce que tu comptes leur dire ? interrogea Agatha.
– Je ne sais pas encore. Que j'ai dû retourner chez moi.
– Où est-ce, chez toi ?
– Santa Fe, Nouveau-Mexique.
– Ils te demanderont pourquoi.
– Frank, j'en doute, ce n'est pas le genre à poser des questions.
– Pourquoi cela ? Il ne s'intéresse pas à toi ?
– Bien sûr que si, protesta Milly. C'est de ma faute, je n'aime pas beaucoup parler, et surtout pas de moi. Et puis, il me fait confiance. Il s'inquiétera un peu, me dira d'être prudente sur la route et de rentrer vite.
– Et Mme Berlingot ?
– Mme Berlington ! corrigea Milly en s'amusant à faire rouler le r. Je lui expliquerai que j'avais une affaire urgente à régler suite au décès de ma mère. Elle est morte il y a cinq ans, mais Mme Berlington n'en sait rien.
– J'en suis désolée, répondit Agatha.
– Moi aussi, soupira Milly. Ma mère était un peu rock'n'roll, la vie n'a pas toujours été facile pour nous, mais on ne s'ennuyait jamais ensemble. C'était quelqu'un de joyeux.
– Tant mieux pour elle, répliqua Agatha.
– Vous avez des enfants ? demanda Milly.
– Non, pas eu le temps.
– Vous étiez si occupée que cela ?
– On peut dire ça, oui. Et toi, tu as envie d'en avoir ?
– Pour l'instant, j'ai surtout envie de manger ce sandwich en admirant la vue.
– Il fait sombre, dit Agatha, on ne voit pas grand-chose.
– Si, au loin, on aperçoit les lumières d'un village, et juste en dessous, le lit d'une rivière. Avec la fonte des neiges, elle gonflera bientôt. J'aime bien les anciennes voies de chemin de fer, ajouta-t-elle en caressant le rail rouillé sur lequel elle s'était assise. En fait, je ne sais pas pourquoi, mais j'aime tout ce qui est ancien.
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